Coopératives et mutuelles, des modèles d’avenir ?
Dans cet épisode nous allons parler des coopératives et des mutuelles et nous demander s’il s’agit de modèles d’avenir.
Dans cet épisode nous allons parler des coopératives et des mutuelles et nous demander s’il s’agit de modèles d’avenir.
« La seule chose qui rachètera l’humanité est la coopération » écrivait le philosophe et mathématicien britannique Bertrand Russel. Co-opérer ou « faire œuvre ensemble ». Autrement dit placer l’œuvre au-dessus des intérêts particuliers.
L’œuvre en tant que bien commun ! Entreprendre avant de prendre ! La belle histoire. Entreprendre qui vient de « prendre entre ses mains » comme on prend soin… ou bien au contraire pour se servir en premier…
Quand par exemple la tyrannie du court terme prend le pas sur la raison d’être ou quand le diktat d’un cours de bourse conditionne plus ce que l’on fait que les besoins des clients… Ou quand l’allégeance aux intérêts d’un actionnaire vorace altère en profondeur le sens même de l’entreprise… Tiens par exemple quand il s’agit de prendre soin dans des établissements de santé…
Comme quoi, même dans des organisations où le sens devrait naturellement faire sens, rien n’est facile. Il n’y a peut-être pas de modèle de gouvernance idéal. Mais alors, les coopératives et mutuelles, modèles d’avenir, c’est quoi l’histoire ?
Il n’y a pas de modèle d’organisation idéal, au sens de l’organisation interne de l’entreprise, comme il n’y a peut-être pas de modèle de gouvernance idéal non plus en effet. Mais c’est à cette dimension que nous souhaitons nous intéresser.
Le propos n’est en effet pas ici de questionner la dimension morale du sujet même s’il ne fait aucun doute à nos yeux que les dérives de certaines entreprises y invitent. Mais ce n’est pas le propos.
Les modèles de gouvernance ont d’abord tous leurs avantages et inconvénients. Et par ailleurs, ils ne sont pas toujours simples à décrire car il y a plein de nuances possibles dans un modèle donné.
Prends le modèle qu’on connaît tous, celui de la société de capitaux, donc une entreprise qui repose sur les capitaux apportés par les actionnaires. On ne peut pas comparer une petite entreprise familiale avec une entreprise cotée en bourse. La première aura peut-être à cœur de tenir compte d’un temps long, dans une logique de pérennité et de transmission du patrimoine, là où l’autre sera plus soumise à la tyrannie du court terme de la bourse.
Une entreprise mutualiste par ailleurs dont on sait par nature la difficulté à laquelle elle peut être confrontée lorsqu’il s’agit de financer des investissements, elle peut créer un véhicule coté en bourse pour faire appel à l’épargne et prendre les atours d’une entreprise coté bien plus que d’une mutuelle
On le voit, rien n’est simple et sur ce sujet comme sur d’autres les nuances s’imposent. Mais explorons le sujet un peu plus loin. D’abord c’est quoi une mutuelle ou une coopérative. C’est la même chose ?
Dans les modèles de gouvernance de type partenarial, le principe c’est que l’entreprise n’appartient pas à des actionnaires dont elle vise à servir les intérêts. Elle a pour objectif de servir au mieux les intérêts économiques de ses membres et repose sur un principe de décision « une personne une voix »
Donc mutuelle ou coopérative, dans les grands principes, c’est la même chose. Dans une mutuelle les membres sont des sociétaires, à la fois clients et actionnaires. Parfois même salarié aussi.
Et une coopérative, cela peut prendre de nombreuses formes. Une SCOP par exemple qui est une société détenue par les salariés ou chaque salarié associé dispose d’une voix quel que soit le montant du capital qu’il détient. Ou une coopérative agricole qui regroupe des agriculteurs donc des producteurs ou une coopérative de clients.
On a compris le principe général. Mais ce modèle n’a pas toujours eu le vent en poupe non ? On a par exemple observé un mouvement de démutualisation dans les années 80-2000[1]. Dans les pays anglo-saxons cela consistait carrément à transformer le statut juridique de mutuelle en société à capitaux ou en France, où le cadre légal ne le permettait pas, cela a pris la forme de la création d’un véhicule coté.
Certaines entreprises ont d’ailleurs fait la navette comme Équitable aux Etats-Unis. D’abord société cotée en 1859 qui devient mutuelle en 1918 et se démutualise en 1992. Là encore, il n’y a pas de modèle idéal et on peut imaginer que les caractéristiques du contexte, donc ce qu’elles exigent comme réponses de l’entreprise, ont un rôle important.
Et c’est le cas aujourd’hui. La loi Pacte avec les sociétés à mission en France est aussi un symbole des évolutions en cours. Une quête de sens de plus en plus forte de la part des clients et des salariés, alors même que la pénurie de ressources, notamment de main d’œuvre, fait rage dans la plupart des secteurs.
Une quête de sens qui n’est pas étrangère aux phénomènes post crise Covid, qualifié de grande démission ou « big quit » aux Etats-Unis.
Des crises successives qui jouent un rôle de prise de conscience chez certains aussi. La crise financière de 2008 qui conduit à des mouvements comme occupy wall street pour critiquer les dérives d’un capitalisme ultralibéral sans contre-pouvoir mais aussi les crises écologiques ou sanitaires avec ce que cela implique de prise de conscience et d’évolution des contraintes, notamment normatives et légales, qui pèsent sur les entreprises.
Qui, dans le même temps, appellent de leurs vœux une transformation dont on sait qu’elle ne verra jamais le jour sans l’engagement de tout le corps social…
En d’autres termes, un alignement des planètes en faveur d’une plus grande importance accordée au sens, à la mission de l’entreprise, sa raison d’être et un respect plus grand de toutes les parties prenantes, y compris la société civile dans son ensemble, y compris le monde et la planète.
En cela, les modèles de gouvernance qui structurellement favorisent un plus grand équilibre entre toutes ses parties prenantes ont des caractéristiques qui devraient mieux répondre à l’ensemble de ces contraintes.
C’est peut-être aussi en cela que l’OIT, l’Organisation Internationale du Travail, encourageait en 2002 la structuration coopérative dans sa recommandation 193 en statuant que « la promotion et le renforcement de l’identité des coopératives devraient être encouragés »
En l’occurrence d’ailleurs à l’époque une recommandation qui avait bénéficié d’un des plus forts taux de voix jamais atteints.
Les modèles coopératifs ou mutualistes ont aussi leurs inconvénients, comme tous modèles. Et ne sont pas à l’abri de dérives tout aussi préjudiciables non plus. Mais ce modèle régi en théorie par 7 grands principes fondateurs, incluant le « contrôle démocratique par ses membres » offre par nature un cadre plus propice aux enjeux que nous avons évoqués.
S’il n’est pas dénaturé, ce cadre est en effet porteur d’une dimension collective plus forte, d’une meilleure prise en compte des temps longs nécessaires face aux enjeux contemporains, et un meilleur respect des équilibres entre les parties prenantes.
Or, un modèle qui a des caractéristiques qui répondent par nature aux enjeux d’avenir mieux que d’autres peut être ce qu’on appelle un modèle d’avenir. Mais comme tout modèle, à condition que les femmes et les hommes qui les portent et les font vivre en respectent l’essence, à savoir celle du bien commun avant les intérêts particuliers.
En résumé, s’il n’existe aucun modèle de gouvernance idéal, les modèles coopératifs et mutualistes offrent un cadre théoriquement plus respectueux des équilibres entre les parties prenantes. Ils offrent ainsi peut-être en cela une réponse aux enjeux auxquels les entreprises contemporaines sont confrontées.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] Mottet Stéphane. La démutualisation. In: Revue d’économie financière, n°67, 2002. L’avenir des institutions financières mutualistes. pp. 111-120.