Quand Robert éclaire la question de l’engagement

Dans cet épisode au titre racoleur nous allons convier Robert Merton et sa typologie de la déviance pour éclairer le sujet Ô combien essentiel de l’engagement en entreprise.

Dans cet épisode au titre racoleur nous allons convier Robert K. Merton et sa typologie de la déviance pour éclairer le sujet Ô combien essentiel de l’engagement en entreprise.

Ici, on nous vante les mérites de la désobéissance comme source d’innovation dans des entreprises engoncées dans un culte mortifère du processus et du contrôle …

Quand là, on s’énerve devant le guichet 17 face à un rond-de-cuir servile qui n’a absolument rien à foutre de votre problème de client, qu’il appelle usager d’ailleurs à force de l’user, et qui, soucieux de respecter à la lettre le périmètre strict de sa description de poste et la tranquillité de son bocal, vous demande sur un ton désagréable de vous adresser au guichet 28.

Quand ce n’est pas celles et ceux qui sont contre tout, absolument tout et qui le crient fort, le clament, le vocifèrent en se drapant dans leur indignation ou ceux qui, de guerre lasse ont baissé les bras, fatigués d’avoir lutter contre des moulins à vent.

L’engagement des uns, des unes et des autres revêt bien des différences. Pourtant, dans l’entreprise, sans cet engagement, constant, sans faille, de l’intégralité du corps social, il n’y a pas beaucoup des transformations qu’on espère qui verront le jour.

Hors entre celles et ceux qui tirent la charrue ou celles et ceux qui la freinent, bien des nuances sont à comprendre. Et c’est là où Robert nous éclaire… Bon c’est quoi l’histoire qu’il nous raconte ce fameux Robert ?

L’engagement des uns n’est en effet pas l’engagement des autres. Tous les Robert, même s’ils font la paire, n’éclairent pas ! Tu as le Robert qui vocifère et le Robert qui éclaire. Robert Eugène Louis Bidochon de Binet, le mari à la Raymonde. Et celui qui éclaire, en l’occurrence c’est Robert Merton, le premier sociologue à recevoir la National Medal of Science en 94 … Bref !

Une petite précision pour commencer. L’engagement c’est un peu un mot fourre-tout qu’il convient de préciser un peu. En l’occurrence c’est la combinaison dans la durée, et j’insiste sur cette notion de durée, de la motivation, le moteur qui te donne envie de faire un effort, et de ton implication, ou la dimension affective que tu places dans ce que tu fais.

Les principaux facteurs en sont en substance l’adhésion à la finalité que tu poursuis, la possibilité d’apporter ta pierre à l’édifice et la reconnaissance que tu en tires. En d’autres termes, le but institutionnel, les moyens (notamment en entreprise la question de l’autonomie) et la reconnaissance.

Le dernier étant au fond l’arbitrage de ce que tu supportes sur les deux premiers facteurs. Et c’est sur ces deux premiers leviers où les travaux de Robert Merton sont très éclairants. Il a en effet travaillé sur de très nombreux sujets mais notamment sur une typologie de la déviance dans une société.

Dans les années 1950, il établit en effet une typologie de la manière dont les individus s’adaptent aux normes sociales en s’appuyant sur des travaux sur la délinquance. En substance, il identifie des stéréotypes selon deux grands facteurs.

En fonction de ce qu’on adhère ou pas, en effet, d’une part aux buts institutionnels et d’autre part aux moyens pour y parvenir. Et en fonction de ces 2 axes, l’adhésion au but et l’adhésion aux moyens, il identifie des comportements types.

Pas difficile de comprendre en effet 2 comportements types ici : quand on adhère à ce que l’on vise et aux moyens d’y arriver, on est une sorte de moteur et d’exemple au regard de ces normes sociales. Est-ce cela qu’on appelle un ambassadeur en entreprise ou cette dimension de « leadership partagé » ou de communityship chère à Mintzberg ?

Robert Merton lui les appelle les « conformistes ». Pas difficile non plus de se figurer ceux qui n’adhèrent ni à l’un ni à l’autre. Merton en distingue deux catégories. Celle qu’il nomme « évasion » ils n’adhèrent ni à l’un ni à l’autre mais ne s’opposent pas farouchement. On les connaît dans nos entreprises.

Ils tirent au flanc en veillant à ne pas prêter flanc. Genre pas vu, pas pris. On n’en fout pas lourd. On se fout du tiers comme du quart du projet, des méthodes, etc. Bref on fait son boulot, pas très bien mais on n’entre pas en conflit ouvert.

Ceux qui s’opposent farouchement aux buts comme aux moyens, Merton les nomme les « rebelles ». Dans l’entreprise, ils entrent en conflit… ou partent. On connaît. Les deux autres catégories en revanche, selon qu’elles adhèrent à l’un mais pas à l’autre, présentent un éclairage intéressant au regard de notre sujet car elles n’appellent pas, il nous semble, les mêmes natures de réponses.

Il y a d’abord la catégorie que Merton dénomme « innovation ». Les personnes qui adhèrent aux buts mais pas aux moyens d’y parvenir. C’est ceux-là au fond qui désobéissent parfois en étant source d’innovation quand procédures et processus se heurtent à la réalité des choses et ne permettent pas, en fait, d’honorer la mission qu’on vise.

Une catégorie souvent très investie, et qui essaye de faire preuve d’initiatives pour bien faire avancer les choses et qui interrogent en profondeur le système sur sa capacité à servir ce qu’il vise ou au contraire, à le desservir par le poids de ses rigidités.

Et il faut y veiller car ils ont vite fait de finir en burn out à force de compenser ces rigidités… Alors que c’est grâce à eux que ce type d’entreprise trop rigide tient !

Il y a enfin la catégorie que Merton appelle le « ritualisme ». Les personnes qui n’adhèrent pas au but mais pleinement aux moyens de l’institution. Bref, pas d’accord sur la finalité mais bon ils obéissent scrupuleusement aux ordres, aux méthodes ou processus. Ils ne questionnent pas ce qu’ils font.

On comprend que certains ou certains se réfugient, derrière le processus, le règlement ou le guichet 28. Peut-être d’ailleurs ont-ils même tenté, un temps, d’infléchir le cours des choses mais ils ont abandonné de guerre lasse.

« Ces gens-là », comme dirait Brel, « Faut vous dire, Monsieur Que chez ces gens-là. On n’vit pas, Monsieur, On n’vit pas, On triche, On compte. »

Ou parfois on ne se rend pas compte de ce que lesdits moyens servent comme cause. Ou peut-être qu’on s’en rend très bien compte mais qu’on ne veut pas le savoir. Et là, peut-être que pour certaines entreprises, il faut que le 3ème facteur d’engagement qu’on évoquait tout à l’heure, la reconnaissance, soit bien haut placé pour acheter ce silence…

En toute hypothèse, si l’engagement est un sujet éminemment complexe, cette théorie de la déviance de Merton éclaire parce qu’elle permet au moins de comprendre que l’on ne peut pas appréhender ces 5 catégories de la même manière en entreprise.

En résumé, la théorie de la déviance de Merton définit des stéréotypes de comportements individuels selon que l’on adhère aux buts de l’institution et aux moyens pour les atteindre. En cela, elle invite l’entreprise, comme les managers, à comprendre que tous les désaccords ne sont pas porteurs des mêmes germes.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire