Hyper-individualisation des RH et engagement

Dans cet épisode nous allons nous intéresser au concept d’hyper-individualisation des RH et de ses conséquences potentielles sur l’engagement

Dans cet épisode nous allons nous intéresser au concept d’hyper-individualisation des RH et de ses conséquences potentielles sur l’engagement

Quand la pénurie de main d’œuvre commence à faire rage dans la plupart des secteurs d’activité, les entreprises développent des trésors d’invention pour séduire les talents et les attirer.

Alors on y va de labels en récompenses, de happy place to work for good en better place que my voisin, ou en communication en tout genre vantant les mérites des politiques RSE mises en œuvre pour satisfaire un corps social en soif d’engagement universel.

Et quand le candidat, comme le salarié, devient parfois un consommateur, on cherche à satisfaire le moindre de ses désirs individuels. On ne fait plus des politiques segmentées, pour attirer telle ou telle catégorie mais on individualise !

Voire on hyper-individualise comme le suggère Jean-Michel Caye du BCG dans une interview sur BFM-Business. Mais est-ce que cette démarche, au fond destinée à satisfaire les attentes des individus, contribue à leur engagement ? Hyper-individualisation et engagement, c’est quoi l’histoire ?

La théorie de l’anomie d’Emile Durkheim, considéré comme l’un des pères fondateurs de la sociologie en France, nous donne un cadre d’analyse ou un éclairage intéressant en ce sens. Que dit-elle en substance ?

D’une part que le désir des individus est infini et que les moyens de l’institution pour les satisfaire sont limités. Elle nous dit aussi qu’à mesure que l’individualisme grandit, les normes sociales s’imposent moins efficacement aux personnes, et c’est ce qu’il dénomme anomie.

Il ajoute aussi une dimension. Lorsque le pouvoir de régulation des règles sociales, on va appeler ça comme ça, diminue, alors les liens de solidarité se distendent.

Bon en substance, on retrouve ici la dualité, en espérant que celle-ci conduise à un équilibre et non à un antagonisme, entre l’individu et le collectif. Cela nous renvoie d’ailleurs au concept de Bien commun, dont de La Soujeole et Morin affirme que « c’est en lui que se résout la possible antinomie personne-communauté »[1]. Mais quel rapport avec l’engagement ?

Si l’on analyse les facteurs de mal-être au travail, ou que l’on pense à l’inverse à ce qui nourrit l’engagement durable des gens, on voit vite apparaître la notion de sens.

On peut résumer cela de la manière suivante : l’engagement des gens dépend de leur sentiment d’appartenance à un projet qui donne sens à leurs efforts, d’avoir la possibilité d’apporter leur contribution et d’en tirer une récompense morale et financière.

D’ailleurs, lorsque qu’on observe le phénomène de grande démission aux Etats-Unis lié à la crise covid, dont on voit aussi les effets en France mais dans une moindre proportion car le marché de l’emploi y est moins fluide, on constate quoi ?

D’abord on constate que cette vague de démissions ne vient pas de la découverte d’un nouvel eldorado. Celui d’un travail indépendant que l’on pourrait réaliser d’où on veut quand on veut en veillant scrupuleusement à un meilleur confort de vie.

Peut-être que les confinements successifs ont conduit les salariés à s’interroger sur le sens de la vie et donc, par voie de conséquence, la place que le travail y prend. Mais on peut aussi mettre ces prises de conscience en perspective avec la quête de sens qu’expriment régulièrement les personnes.

Les jeunes que l’entreprise trouve trop volatiles à son goût en témoignent. Ils s’engagent, contrairement au stéréotype que certains mettent en avant, et ils s’engagent même beaucoup et fort, mais ailleurs, lorsque l’entreprise n’offre plus un espace dans lequel cette force d’engagement trouve son compte.

Le sentiment d’appartenance à un projet qui fait sens, dont la portée va au-delà de l’entreprise elle-même, une finalité qui dépasse quelques indicateurs de court terme érigés en but ultime, c’est non seulement ce qui nourrit le besoin de se sentir utile mais c’est aussi ce qui forge la cohésion d’une équipe, d’une entreprise.

C’est une dimension clé de l’engagement, comme combinaison durable d’une motivation dont les ressorts sont internes et donc intimes et d’une implication affective. Sans cette dimension collective, l’engagement n’en est plus, il devient mercenariat.

En tout cas, il n’est pas celui qu’attend l’entreprise, qui aimerait bien que celui-ci se dirige vers sa propre réussite.

Et c’est là où l’hyper-individualisation, qui ressemble un peu à du clientélisme, présente un risque. A force de chercher à satisfaire les désirs individuels des personnes, dont Durkheim nous rappelle qu’ils sont infinis, avec des moyens institutionnels par nature limités, le risque d’anomie augmente.

Or l’engagement espéré, est bien celui du salarié pour le projet d’entreprise, par nature collectif. Par conséquent, à mesure que l’anomie augmente, la dimension collective se distend et il est donc plus difficile de s’y engager.

En substance, plus tu individualises plus tu détournes du collectif. Et c’est bien de cet engagement-là dont l’entreprise a besoin faute de quoi elle n’existera plus véritablement.

Cette tendance d’hyper-individualisation, peut-être est-elle opportuniste mais sa portée est de court terme. A plus longue vue elle est destructrice du sentiment d’appartenance à un collectif.

Pas sûr en effet que cette hypertrophie du moi ma gueule quant à moi parce que je le vaux bien n’aide vraiment l’entreprise à devenir autre chose qu’un agrégat de mercenaires que seul l’appât du gain et la circonstance réunit, à défaut de les unir.

Certain que l’entreprise n’en sortira pas gagnante !

Et c’est alors qu’avec Patrick Bouvard, dans un de nos ouvrages communs, nous reprenons en cœur cette formule : l’enjeu n’est pas de remettre l’Homme au cœur de l’entreprise mais peut être bien de remettre l’entreprise dans le cœur des Hommes.

En résumé, si l’hyper-individualisation RH est peut-être une réponse de court-terme pour attirer des candidats ou satisfaire les désirs de salariés toujours plus exigeants, elle est aussi à manier avec une extrême précaution car elle porte en germe la destruction annoncée du collectif.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] de La Soujeole, B.-D., & Morin, R. (2008). Le bien commun et la relation personne-communauté: tradition dominicaine et modernité. Etat et bien commun: perspectives historiques et enjeux éthico-politiques (pp. 199-216). Berne: Peter Lang SA.