Travail collaboratif et paradoxe de Solow
Dans cet épisode, nous allons nous pencher sur le travail collaboratif qu’espèrent de nombreuses entreprises et nous demander s’il ne serait pas une victime collatérale du paradoxe de Solow
Dans cet épisode, nous allons nous pencher sur le travail collaboratif qu’espèrent de nombreuses entreprises et nous demander s’il ne serait pas une victime collatérale du paradoxe de Solow
Grâce aux outils digitaux dans lesquels nous avons investi massivement, il ne fait aucun doute que le travail collaboratif va être boosté très rapidement ! Et c’est une nécessité face aux impératifs de transformation auxquels nos entreprises font face.
Concrètement tu veux dire que parce que tu as équipé toute la boîte de Teams, Sharepoint et autre Trello, Slack, Front, Monday et que sais-je encore… tout le monde va se mettre à mieux bosser, ensemble ?
Parce que tu crois que ça suffit d’acheter une formule 1 pour t’appeler Senna ou Hamilton ? Pas si sûr. Teams et paf ça y est, c’est collaboratif ? Et si c’était plus complexe que ça ? Alors, travail collaboratif et paradoxe de Solow, c’est quoi l’histoire ?
Reprenons notre histoire avec bon sens, c’est-à-dire dans le bon sens, en l’occurrence celui de l’histoire.
De nombreuses entreprises appellent en effet de leurs vœux à une plus grande transversalité, moins de silos, des organisations un peu plus souples, capables de s’adapter mieux et plus vite aux situations qu’elles rencontrent.
Dans cette optique, travailler ensemble, faire des efforts ensemble, bref collaborer, au sein d’une équipe bien sûr mais aussi et surtout entre équipes, entre services ou départements, bref de façon moins cloisonnée est une nécessité vitale.
Or, c’est précisément ce à quoi sont supposés servir les outils collaboratifs qu’on citait précédemment. Et les entreprises investissent dedans et les déploient. Le mouvement a d’ailleurs été significativement accéléré – par la force des choses – durant la crise sanitaire de 2020.
D’ailleurs, de manière à s’assurer que ce soit efficace, nombre d’entre elles ont également accompagné ce déploiement de formations à la prise en main des outils, souvent à l’aide d’ambassadeurs numériques.
Or, très souvent on constate que les effets escomptés ne sont pas toujours au rendez-vous, ou du moins pas aussi vite qu’on le pensait.
Oui tu as raison. Et de multiples raisons peuvent être invoquées. La première d’entre elles est assez simple à comprendre : ce n’est pas parce qu’on a les outils qui nous permettent de faire quelque chose et qu’on sait se servir de ces outils, qu’on a envie de faire ce quelque chose.
En d’autres termes, ce n’est pas parce que tu as un tire-bouchon que tu bois une bouteille !
Euh moi, il suffit que j’ai la bouteille et c’est bon, même sans tire-bouchon… mais tu as raison, ce n’est pas le sujet.
En réalité, les réflexes de repli, de territoires, les petits jeux de pouvoir, les mesquineries de la vie en entreprise, les jalousies des uns, les craintes des autres, l’auto-censure, l’incompréhension de l’utilité de travailler ensemble, le manque de vision, bref mille raisons pour ne pas avoir envie de le faire, au-delà de pouvoir le faire.
Mais allons plus loin. Il y a peut-être une deuxième raison. Et certainement une troisième, une quatrième et bien d’autres mais on s’arrêtera à cette deuxième qui, du coup, deviendra seconde, pour en souligner un aspect particulier.
La seconde raison donc, c’est qu’accompagner le déploiement en formant à la prise en main des outils est très loin d’être suffisant pour que les personnes s’en approprient correctement le bon usage. Les outils sans la culture qui va avec ça ne donne pas le résultat attendu.
Et la culture cela prend du temps. Il ne suffit pas d’être plongé dans la piscine pour apprendre à bien nager. Etre exposé massivement aux outils, cela accélère certainement leur appropriation, bien sûr, mais les résultats qu’on attend de leur bonne utilisation prend beaucoup plus de temps.
Il y a donc un temps de latence entre le moment où l’on investit dans l’outil digital et le bénéfice que l’on en retire de façon effective. C’est exactement cela le paradoxe de Solow.
Robert Merton Solow c’est un économiste américain, récompensé par le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur la théorie de la croissance en 1987. Mais en 1987… Ni Slack ni Teams n’existaient, alors tu peux me dire pourquoi tu l’invites dans notre discussion ?
Certes il n’y avait pas ces outils collaboratifs, mais il y avait déjà l’informatique ! Et Solow écrivait dans un article du New York Times en 87 : « You can see the computer age everywhere, but in the productivity statistics ». En français: « on voit l’ère de l’informatique partout sauf dans les statistiques sur la productivité ».
C’est ce qui a été désigné comme le paradoxe de Solow, qui souligne ce temps de latence entre l’investissement dans les technologies de l’information et leurs effets réels dans l’économie.
On ne va pas entrer ici dans un débat sur l’effet ou non du digital sur la productivité. De nombreuses études ont à la fois validé et invalidé une multitude d’hypothèses.
Pour ceux qui aimeraient creuser le sujet, on vous renvoie à un dossier de la revue Travail et Emploi qui date des années 2000 ne serait-ce que pour montrer que le sujet est loin d’être nouveau.
En revanche la référence au paradoxe de Solow est intéressante car elle soulève une hypothèse simple : le temps d’apprentissage des personnes est long et il n’est pas étonnant de voir un délai significatif entre l’investissement informatique et les bénéfices qu’on en espère, dès lors que le comportement des acteurs est clé pour que ce bénéfice apparaisse.
Alors le travail collaboratif est peut-être en effet, en ce sens, une illustration du paradoxe de Solow à l’échelle de l’entreprise.
En résumé, il y a un temps de latence entre l’investissement dans des outils digitaux et l’observation d’un travail vraiment collaboratif dans les pratiques. Ce décalage que l’on peut appeler Paradoxe de Solow vient peut-être du temps qu’il faut aux personnes pour développer des bonnes pratiques au-delà de la seule maîtrise des outils en eux-mêmes.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire