SIRH et conflits de territoires
Dans cet épisode, nous allons nous intéresser aux conflits de territoires qui peuvent animer DSI et DRH, conflits dont le SIRH est parfois le terrain de bataille.
Dans cet épisode, nous allons nous intéresser aux conflits de territoires qui peuvent animer DSI et DRH, conflits dont le SIRH est parfois le terrain de bataille.
Ah la maîtrise de l’information comme levier de pouvoir ! Vieux comme le monde ! Donc normal que le système d’information en soi un des théâtres. Et un théâtre en effet où DSI et DRH peuvent avoir une tendance amicale à s’affronter.
Ou quand la DSI veut t’imposer son ERP et que la DRH préfèrerait un outil à sa main, moins normatif car cela ne convient pas à la culture de la boîte ou à sa politique par exemple. Bref les occasions sont fréquentes en matière de SIRH pour que des intérêts divergents émergent.
Des intérêts divergents, bref des questions de pouvoir des uns et des autres, et, en toile de fond, leurs territoires respectifs. Alors SIRH et conflits de territoires, c’est quoi l’histoire ?
Commençons par le début. C’est quoi un territoire ? Intéressons-nous à ce qu’en dit le géographe Guy Di Méo : « Le territoire témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité »[1]
En disant cela, il nous renvoie finalement à ce qui est peut-être un atavisme dont on est encore bien loin de s’affranchir, contrairement à ce que les sirènes digitales voudraient faire croire.
Oui c’est vrai que l’engouement pour une transformation digitale qui modifie notre rapport à l’espace et au temps au point d’abolir les frontières et les silos des organisations ne doit pas occulter une réalité humaine, faite d’aversion au risque et de peurs, dont on sait qu’elles sont au cœur du besoin de contrôle donc des réflexes de territoire.
On peut appréhender l’entreprise, comme le Système d’information d’ailleurs, comme des espaces dont la géographie change au gré des jeux de pouvoir, des politiques en œuvre, des perceptions et des influences.
Les habilitations, les droits et les rôles des applicatifs par exemple ce sont ainsi des territoires numériques. Il y a aussi les territoires formels dessinés par l’organisation interne et peut-être même également les territoires informels, notamment issus des jeux d’influences et des alliances.
Et tout cela s’enchevêtre comme des cartes qui se superposent pour former un ensemble où la notion de frontières n’a certainement pas disparu, même si elles changent peut-être de nature.
En cela, le SIRH est un terrain de jeu où les prérogatives respectives de la DRH et de la DSI se rencontrent et où les frontières, même si elles se déplacent, on le redit, cristallisent encore bien des querelles.
Pour comprendre le sujet, on va s’appuyer sur 4 axes qui constituent au fond l’activité de l’entreprise :
- l’organisation,
- les processus qui la matérialisent,
- l’information qui les nourrit
- et les personnes qui la font vivre.
Dans une logique d’optimisation des ressources, qui reste le socle de bon nombre d’entreprises, la responsabilité naturelle de la fonction RH c’est bien d’optimiser la ressource humaine nécessaire au bon fonctionnement d’une organisation donnée.
Oui et ça se traduit en termes de workforce planning sur un plan collectif et d’adéquation homme / poste sur un plan individuel.
Et sur les quatre dimensions qu’on a citées, les personnes et l’organisation c’est l’espace d’intervention de la RH là où le terrain de jeu de la DSI c’est l’Information (en tant que ressource) et les processus (qui « consomment » cette ressource).
Chacun cherche alors à optimiser sa propre ressource : la ressource humaine utilisée par l’organisation pour la DRH, la ressource informationnelle utilisée par les processus pour la DSI.
Or, l’entreprise est un « tout » indissociable, et ce découpage artificiel est par nature source de conflits et d’inefficacité !
Comme toujours, le conflit porte évidemment sur la zone de partage de la ressource, en l’occurrence entre les personnes et l’information, la seconde étant l’instrument du pouvoir du premier : « l’information c’est du pouvoir ». Donc c’est à la frontière que se passe le conflit, à l’image du pays en amont qui place un barrage et prive d’eau le pays qui est en aval. Bah à la frontière c’est la guerre.
Et la conséquence c’est une inefficacité dans le résultat qui vient de l’utilisation de cette ressource objet de conflit. En d‘autre terme, l’inefficacité apparaît à la frontière des contributions respectives, en l’occurrence entre processus et organisation : les processus visent une intégration qui n’est pas forcément conforme à la réalité des besoins organisationnels.
Or, depuis plusieurs années, les entreprises ne s’inscrivent plus dans une logique unique et rigide de productivité. Elles se transforment vers une plus grande agilité, ce qui contribue à redessiner les rôles des DRH et des DSI.
Dans cette optique, la fonction RH n’a plus pour seule mission d’optimiser la ressource consommée, elle doit aussi fabriquer de l’intelligence collective. Pour caricaturer, la DRH se trouve investie de la « richesse humaine » quand le DSI devient « architecte » et « urbaniste ».
En s’appuyant toujours sur les quatre axes évoqués tout à l’heure (l’organisation, les processus, l’information et les personnes), cette évolution redessine en réalité les territoires des deux fonctions.
La DRH est plus focalisée sur l’information (ou la connaissance) et les personnes avec pour mission de développer le capital humain et son « intelligence » quand la DSI, elle, prend plus en charge les processus mais aussi l’organisation qu’ils servent.
Pour autant, ce n’est pas parce que les territoires des uns et des autres évoluent, donc leurs frontières avec, que les conflits et les sources d’inefficacité disparaissent. En réalité, ils se déplacent avec ces nouvelles frontières.
Le conflit apparaît toujours dans ce qui nourrit le pouvoir des personnes et, en l’occurrence, ce n’est plus l’information mais le contrôle des processus par l’intermédiaire des Systèmes d’Information : l’enjeu de pouvoir s’est en quelque sorte déplacé de l’information vers la gouvernance des Systèmes d’Information. Je ne contrôle pas l’eau mais les tuyaux et les robinets.
Et l’inefficacité provient donc désormais de la complexité des Systèmes d’Information, devenue plus grande pour mieux coller à l’organisation mais de plus en plus difficile à gérer.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les projets SIRH et les schémas directeurs qui les orientent car ils révèlent bien la réalité de la gouvernance desdits processus ! Le débat est désormais sur ce qui est en central ou en local, qui a la main sur les habilitations, qui a la main sur les référentiels.
Bref, les conflits se déplacent à mesure que les frontières qui dessinent les territoires évoluent. Alors, n’en déplaise aux utopistes d’un monde parfait où le digital se substituerait aux réalités humaines … l’humain, avec ses qualités et ses défauts, revient toujours aux commandes.
En résumé, ce n’est pas parce que les missions, et la manière de les appréhender, entre DSI et DRH évoluent que les conflits de territoires entre les deux fonctions et les sources d’inefficacité qui en résultent disparaissent. Leurs natures changent mais les conflits de pouvoir demeurent.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.
[1] Di Méo Guy (1998) Extrait de géographie sociale et territoire, Editions Nathan