Quand on ne sait pas on se tait
Dans cet épisode, nous allons parler d’un phénomène qui déferle sur les réseaux sociaux: l’ultracrépidiarisme.
Dans cet épisode, nous allons parler d’un phénomène qui déferle sur les réseaux sociaux: l’ultracrépidiarisme.
Mon grand-père disait : quand on connaît quelque chose on le fait, quand on ne le connaît pas bien on est prof et quand on ne le connaît pas du tout on est consultant.
Ah bah tu dois être en fin de carrière vu que tu es prof et consultant. Non je plaisante. Et moi aussi je suis consultante et il m’arrive de donner des cours… Je ne te dis pas la belle équipe !
Comme quoi personne n’est à l’abri de parler de ce qu’il ne connaît pas. À commencer par nous, puisque nous allons parler d’un sujet dont nous ne sommes pas plus experts que vous : l’ultracrépidiarisme.
Un clin d’œil à Étienne Klein qui en a fait son mot de l’année 2022 et dont les rappels à l’ordre, et à l’intelligence, font un bien fou dans une société où l’on a parfois l’impression que l’avis des uns et des autres comptent plus que celui de ceux qui savent.
Et alors pourquoi donc employer un mot savant, l’ultracrépidiarisme ? Pour donner l’impression qu’on en sait plus que les autres, un peu comme du name droping pour frimer et se donner une importance qu’on n’a que par personnes interposées ?
Bon allez, quand on ne sait pas de quoi on parle on se tait, c’est quoi l’histoire ?
(Silence)
Oh oh c’est à toi de parler là !! C’est ton tour ! Allo Houston, je répète « c’est quoi l’histoire ? »
(Silence)
Oh chef ! Tu te réveilles ? « C’est quoi l’histoire ? » ai-je dit ! Tu sais, c’est le signal que le podcast commence vraiment après l’intro où on a dit des conneries.
Bah justement je me tais. J’ai parlé au début puisqu’il s’agissait de rigoler et dire des conneries. Mais maintenant je la ferme ! Précisément parce que je n’ai rien à dire sur le sujet.
Non mais d’accord on a dit qu’il ne fallait pas parler de ce qu’on ne connaissait pas. Mais bon on peut donner notre avis non ? Allez détends toi ! Je ne te demande pas une étude scientifique, je te demande qu’on essaye de réfléchir.
Justement. C’est précisément cela qui est difficile. Réfléchir ! Ah… dire ce qu’on pense, clamer sa vérité haut et fort et la déclarer universelle, égrener ses affirmations comme on égrène un chapelet ! « Le bon goût c’est mon goût » disait je crois Emile Faguet.
C’est qui celui-là ? Tu sors une citation pour appuyer ton propos ? Pour donner l’impression que ce que tu dis est vrai précisément parce que quelqu’un d’autre l’a dit avant toi ? Sérieux dans ces cas-là fait comme tout le monde convoque Socrate ou Lao-tseu…
Ah ah j’adore. Allez, je te révèle une anecdote. Quand j’étais jeune consultant. Donc déjà con. J’avais fait un pari avec un collègue de sortir une fausse citation débile devant 30 DRH, en l’occurrence je faisais dire à Confucius, avec l’air grave et entendu qu’il faut, que « l’araignée tisse sa toile dans les concombres » et personne n’a bronché.
Confucius, il a bon dos lui aussi. Bref une double preuve. La preuve que tu es bien un consultant, vu que tu racontes n’importe quoi, et la preuve que les DRH, qui ne sont pas dupes, sont vraiment bienveillants …
Ah ces gens qui tour à tour deviennent les spécialistes du big data puis 6 mois après des chat bots ou de la réalité virtuelle parce que ça fait vendre…
Sans parler de madame Michu et de monsieur Paul, tous deux adeptes des propos de comptoir et qui, en levant le coude pour l’une et la patte pour l’autre, en savent long sur ce qu’ils n’ont pas étudié comme sur l’avenir du monde.
Bordel, parfois la terre est plate et le plafond est bien bas ! Mais on n’en veut pas aux gens de ne pas savoir. Après tout, la seule chose que je sais, c’est que je ne sais pas grand-chose.
Ah bah voilà, il l’a fait ! Il a cité Socrate ! Mais c’est une bonne raison pour ne pas donner ton avis sur tout et n’importe quoi et surtout sur ce que tu ne connais pas.
Et c’est cela l’ultracrépidiarisme. Affirmer son avis sur tout et n’importe quoi et notamment sur ce que nous ne connaissons pas. Au détriment de toute forme d’hygiène de raisonnement d’une part mais surtout de la capacité à reconnaître en toute humilité qu’il y a des gens qui savent mieux que nous.
Et là où c’est frappant, c’est surtout lorsqu’il s’agit d’un domaine dans lequel l’avis des scientifiques semblent compter moins que celui de madame Michu. Ne serait-ce que parce que leur voix, moins bruyante moins tonitruante, plus nuancée et mesurée, moins aveuglément affirmative et surtout moins spectaculaire est de fait moins entendue.
Ou tu sais, quand tu as vécu une situation désagréable, ou dérangeante pour ne pas dire dangereuse ou vraiment inquiétante parce que tu es femme, racisé, gay, gros etc. Et que quelqu’un, qui ne vivra jamais cette situation-là, t’explique non seulement ce que tu ressens mais également la meilleure manière de ressentir et réagir, pour ne pas « desservir » ta cause ! Oh ça va hein on n’a pas besoin de ton avis !
Donc on demande à madame Michu et à monsieur Paul de la fermer c’est ça ? Mais alors, de quoi ils vont parler sur le perron d’où ils aiment perrorer ?
Non ce n’est pas ce que nous disons. D’abord chacun et chacune a le droit d’exprimer son avis. Et puis d’autre part la sagesse populaire c’est aussi une réalité. Écouter ce que les gens disent et pensent parce que leur avis est aussi loin d’être con.
Celui qui est sur le terrain par exemple, c’est celui qui le connaît le mieux. Son avis ne peut qu’éclairer le décideur. Écouter la voix du peuple, qui lui sait souvent mieux que quiconque ce qu’il vit, comme celle de l’ouvrier qui connaît son travail, c’est la première qualité de celui ou celle qui dirige. Ça lui évite d’être hors sol ! Quand il n’est pas méprisant à leur égard en plus…
Mais, en revanche, l’avis d’un joueur de tennis sur le vaccin, même un grand joueur, ça m’intéresse à peu près autant que celui de Madame Michu sur la fusion nucléaire.
Ecouter l’avis des gens oui mais ce ne sont que des avis. Tiens, Platon dans sa République, combat les sophistes, dont il estime qu’ils utilisent l’art oratoire pour manipuler les foules. Parce qu’il estime au fond que la politique doit être d’abord affaire de savoir plus que d’opinion. Même si elles comptent.
Et pour passer de l’opinion à une démonstration plus irréfutable il y a un peu plus à faire que d’affirmer haut et fort ce qu’on pense même si l’on y croit fort. Platon lui suggère 4 niveaux pour s’élever : de l’opinion pure (imagination) on passe à la croyance fiable puis à l’intelligence et à la contemplation (le monde des idées).
Bref, faire un effort de réflexion au moins. Il n’est pas question ici de demander à chacun d’avoir mis en œuvre une démarche scientifique sur tous les sujets dont il parle. Simplement faire l’effort d’un minimum de rigueur et donc d’avoir l’humilité de se calmer sur des sujets où l’on ne sait vraiment pas.
« Ils croient savoir mais ils ne savent pas qu’ils croient ! » Bon, on peut se demander d’où vient cette dérive ou cette facilité. Une baisse de culture générale, un manque de culture scientifique, la faute « aux » réseaux sociaux ? Peut-être !
Peut-être aussi la paresse alliée à l’hypertrophie du moi. Tu sais ? Parce que je le vaux bien ! Moi moi moi, si important que lorsque je suis devant le Parthénon, je fais un selfie, parce que le sujet c’est moi. Pas le Parthénon !
En d’autres termes, difficile de voir plus loin que le bout de son nez quand on ne regarde que son nombril !
Comme disait Pierre Desproges… « il vaut mieux se taire et passer pour un con plutôt que de parler et de ne laisser aucun doute sur le sujet. »
En résumé, l’ultracrépidiarisme consiste à affirmer son avis sur des sujets où l’on n’est pas du tout compétent. Gardons l’humilité d’accepter que notre avis ne vaut pas démonstration et que, lorsque l’on n’est vraiment pas qualifié sur un sujet, mieux vaut en faire l’économie.
J’ai bon cheffe ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire