Le manager intermédiaire bouc émissaire
Dans cet épisode nous allons nous intéresser au manager intermédiaire et notamment aux critiques injustes dont le rôle est parfois victime.
Dans cet épisode nous allons nous intéresser au manager intermédiaire et notamment aux critiques injustes dont le rôle est parfois victime.
Certains clament ce besoin de proximité et d’encadrement des équipes, surtout quand on est en phase de crise ou, soudainement lorsque le bateau tangue, on appelle le chef de quart à la rescousse pour tenir la baraque !
Mais d’autres appellent à sa disparition au motif qu’on ne voudrait plus de managers mais des leaders !
Combien d’observateurs les ont-ils en effet caricaturés en rond de cuir serviles, experts du reporting infectés de réunionnite aiguë, les considérant responsables de toutes les dérives bureaucratiques d’une entreprise devenue lieu de mal-être ?
Bref, certains tuent le manager intermédiaire comme on tue le messager. Alors, le manager intermédiaire bouc émissaire, c’est quoi l’histoire ?
Revenons à quelques principes simples et qui constituent, du moins à nos yeux, les fondamentaux du management. D’un côté, une dimension de gestion qui consiste à organiser le travail, en définissant des délégations et en mettant en place le contrôle approprié, pour réussir un projet.
Et de l’autre une dimension de leadership, partie intégrante du management, qui consiste à faire vivre ce projet et son ambition, en faire la pédagogie et engager l’équipe dans sa réussite.
La critique qui consiste à constater que, dans certaines entreprises, cette seconde partie du rôle a été occultée au profit de la première, poussée à son paroxysme, correspond à une réalité malheureusement observable.
Une image de petits chefs qui colle encore à la peau des managers intermédiaires pour reprendre les termes qu’employait déjà Maurice Thévenet dans les années 2000 dans son excellent ouvrage, « quand les petits chefs deviendront grands »[1].
La situation ne s’est pas arrangée depuis. Que dire de Gary Hamel et son ouvrage « la fin du management »[2] en pleine crise de 2008 auquel les partisans d’une entreprise débarrassée de ces boulets font souvent référence ?
Puis la médiatisation de l’entreprise libérée, notamment libérée de ces fardeaux que l’holacratie remplace par des régulations horizontales et transverses. Halte à la comédie inhumaine, les managers intermédiaires sont devenus fous et font peser sur nos entreprises une menace bureaucrate, source de tous nos maux.
Seulement peut-être est-ce une autre forme de comédie, au demeurant tout aussi inhumaine à l’égard de ces mêmes managers, qu’il conviendrait d’arrêter.
On peut le dire simplement. Le constat de ce que le rôle de manager est devenu dans une certaine catégorie d’entreprise est malheureusement assez juste. Mais il occulte peut-être les causes profondes qui l’expliquent. Du moins c’est une hypothèse à soulever.
Dès le début des années 90, les cadres qui encadrent (le statut et le rôle) c’est-à-dire pas tous les cadres mais bien les managers qu’on affuble d’un qualificatif d’intermédiaire qui colle assez bien à leur situation entre le marteau et l’enclume, exprimaient leur malaise.
Bénéficiant auparavant d’une autonomie leur permettant d’exprimer toutes les facettes de leur rôle, y compris cette dimension de leadership qu’on appelle de nos vœux aujourd’hui, ils voyaient déjà leurs marges de manœuvre se réduire progressivement.
Je me souviens d’une étude que nous avions menée lorsque j’étais jeune consultant chez Hay Management, au début des années 90, sur le moral des cadres. Elle témoignait bien de ce malaise face à cette réduction de leur autonomie. Nous les avions alors baptisés les « cols rayés » en clin d’œil à ceux qui ne savaient plus où se situer entre des cols bleus supposés exécuter et des cols blancs supposés penser le travail.
Et oui … quand la pression de la productivité conduit à l’inflation de processus qui se traduit in fine par une réduction de l’autonomie, l’un des ingrédients du cocktail du mal-être au travail pointe son nez.
Une évolution d’ailleurs qu’on peut mettre en regard de la financiarisation des entreprises, de l’exigence de productivité de court terme qui en résulte et des conséquences de son bras armé informatique sur le travail réel des gens, y compris des managers de proximité.
Et des années 90 à la crise de 2008 qui a soulevé les insuffisances d’innovation et d’adaptation de nos entreprises pour affronter un monde où les rapports de force rendaient plus difficile une compétition par les coûts, le phénomène s’est amplifié.
Peut-être même au point que certaines et certaines se sont mis à croire sincèrement que c’était cela manager, sans véritablement comprendre qu’à l’image de la caverne de Platon, ils n’en connaissaient qu’une image déformée.
Et c’est alors que l’on peut se demander s’il ne s’agit pas là d’une forme de naïveté… ou de cynisme… qui consiste finalement à rendre ledit manager intermédiaire coupable de comportements jugés déviants et inappropriés dans une entreprise moderne en quête d’agilité…
Alors qu’en réalité, ils ne sont que ce qu’on leur avait justement demandé d’être, formellement ou implicitement.
Dit en termes simples, le manager est un être humain qui n’est pas plus con qu’un autre et qui, généralement, essaye comme la plupart des gens de bien faire son travail. Mais il est soumis à un champ de contraintes externes à sa volonté.
Et ce champ de contraintes, comme pour une entreprise, est bien souvent le facteur le plus déterminant de ses choix comme de ses comportements. Mais c’est tellement plus facile de le fustiger plutôt que de s’interroger sur les causes profondes. Surtout lorsque pointer du doigt certaines d’entre elles peut significativement déranger les intérêts de certains.
En résumé, critiquer le manager intermédiaire au seul constat de ses comportements en faisant abstraction des contraintes auxquelles il est confronté, à commencer par l’organisation qui définit son rôle, c’est un peu rendre le facteur responsable du contenu des lettres qu’il délivre.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] Thévenet Maurice (2004) « Quand les petits chefs deviendront grands » Editions d’organisation.
[2] Hamel Gary (2008) « La Fin du management: Inventer les règles de demain » Vuibert