Quand le sens n’est pas le même pour tous
Dans cet épisode, nous allons chercher le sens là où il pourrait sembler évident par nature … et que pourtant … ce n’est pas aussi simple que cela.
Dans cet épisode, nous allons chercher le sens là où il pourrait sembler évident par nature … et que pourtant … ce n’est pas aussi simple que cela.
Oh tu sais, chez nous la question du sens, elle tombe sous le sens. On fait du social… alors autant te dire que la question ne se pose pas ! Elle est évidente pour tout le monde. Tiens, d’ailleurs, j’en veux pour preuve que si certains viennent travailler chez nous et bah c’est bien pour ça non ?
Aaah… l’évidence et le bon sens. « Il n’y a plus de bons sens. Ils sont uniques ou interdits » disait Raymond Devos dans le plaisir des sens. Bon sang de bonsoir, bien sûr que cela fait sens de soigner les gens, de contribuer à la protection sociale ou de faire de l’humanitaire. Cela aligne tout un monde en quête de sens ça non ? C’est l’essence même !
Et pourtant, là où ce sens serait si bon et si évident et bien parfois il est plutôt sans dessus dessous. Alors, quand le sens n’est pas le même pour tous, c’est quoi l’histoire ?
On ne va pas revenir sur le caractère polysémique du mot sens. Le sens a tellement de sens qu’on y perdrait vite le Nord ! Comme disent les Sénonais et les Sénonaises, ici c’est Sens. Mais est-ce bien le même pour chacun d’entre eux ! Une notion polysémique mais aussi quand même assez personnelle !
Oui mais quand même ! « Tous ensemble, tous ensemble »… même en dehors de l’Yonne, sans faire de contresens, le sens fait con…sensus ! L’ingrédient essentiel du collectif. Le cap qui unit, le voyage qui anime et les valeurs remèdes au vague à l’âme. Alors vogue matelot, la promesse d’une île, la liberté du vent, ça fait sens pour tout l’équipage !
Le sens qui unit le collectif, qui fédère et nourrit le sentiment d’appartenance. C’est peut-être le Graal de l’entreprise. Et, à cet égard, en première lecture, c’est vrai que certains univers professionnels semblent mieux lotis que d’autres.
C’est du bon sens non ? Travailler pour la sécurité sociale, dans un hôpital, dans une structure d’aide sociale, bref dans toutes les institutions, privées ou publiques, qui ont un dessein collectif de ce genre, la finalité s’impose d’elle-même. C’est vrai.
Et d’ailleurs, on peut l’observer assez facilement. Dans ce type d’univers professionnel, les gens exprimeront assez aisément la mission d’intérêt de leur institution. Et le plus souvent, ils y adhérent et s’y reconnaissent sincèrement.
Seulement voilà, il y a deux écueils qui ont une conséquence importante.
- Le premier c’est que chacun des acteurs au sein d’une même institution n’interprète pas ce sens a priori commun de la même manière.
- Et le second écueil, c’est que chacun peut trouver, au sein même de cette institution, un sens personnel plus fort dans lequel s’engager que celui supposé réunir le collectif en une seule et même raison d’être.
Ne nous attardons pas sur le second. Il révèle en fait que le particulier l’emporte sur le collectif chez certaines personnes. Pour le coup, c’est une évidence, dans tout projet collectif. Cela renvoie à la définition même du bien commun. Il n’y a pas de collectif sans existence d’un projet et de reconnaissance de ce projet comme bien commun.
Explorons en revanche le premier écueil car il est source d’erreurs aux conséquences importantes. En substance, même lorsque tous les membres d’une institution se reconnaissent dans une perspective collective, comme une mission de service public par exemple, cela n’empêche pas que chacun puisse l’interpréter et la traduire de manière différente.
Et donc d’introduire d’importantes divergences dans les faits.
Chacun, en effet, va interpréter ce que signifie ce fameux sens collectif à sa propre échelle. Et donc traduire cette interprétation dans la manière d’exercer son métier. Et c’est avec ces différentes interprétations qu’au mieux on a une belle cacophonie et… au pire, des dissonances sources de souffrance.
Quand par exemple la traduction de la mission se matérialise par des processus qui se muent en injonctions contradictoires par celles et ceux qui les mettent en œuvre sur le terrain… parce que le réel n’est jamais comme on l’a prévu.
Ou quand l’ambition de mettre l’usager, le client, la personne, l’élève, le patient, l’assuré – cochez la case qui vous convient – au centre de nos préoccupations devient chez l’un, l’envie de lui rendre service à tout prix dans un élan de bonne volonté, au détriment de ce que l’autre poursuit, son chef par exemple, et qui se matérialise par la volonté de délivrer un service de qualité mais en veillant à ce qu’il soit rentable pour en assurer la pérennité.
Ou quand les attentes des parties prenantes et partenaires avec lesquels on travaille de fait s’expriment différemment et créent un ensemble de contraintes dont la combinaison a tous les traits d’un enfer Kafkaïen dans lequel le sens aura bien du mal à surnager.
Imagine les contradictions entre les attentes des familles, la fatigue des équipes, le contrepouvoir nécessaire des partenaires sociaux et les injonctions des autorités de santé pour préserver l’intérêt des pensionnaires d’un Ehpad …
Quand ce n’est pas le décalage entre la vision d’une entité centrale, qui a des exigences d’équilibre économique d’un ensemble vaste et celle d’une entité locale, confrontée à des réalités de terrain aussi incompressibles qu’incontournables… Les deux traduiront la mission qui les unit dans des termes concrets sensiblement différents… pour ne pas dire plus.
Bref, on l’a compris. Là où le sens semble faire sens de façon évidente, et bien de toute évidence, le problème c’est que ce n’est pas nécessairement le même sens pour tous. Or, pour qu’un collectif œuvre à la mission qui fait sa raison d’être, il faut un véritable alignement… sinon et bien ça part dans tous les sens.
Alignement ça ne veut pas dire appliquer une norme qui s’applique à tous uniformément ou une forme de standardisation verticale. Aligner c’est à entendre au sens anglo-saxon du terme : harmoniser, mettre en cohérence.
Exactement. Le grand risque de ces institutions où le sens semble évident, c’est de partir de l’idée fausse qu’il soit acquis de tous, dans le même sens, et que par conséquent l’on puisse s’affranchir d’en faire la pédagogie.
Surtout que de partir de ce présupposé, qui est faux par nature, cela peut même en arranger certains. Ceux qui, loin de s’investir pour le bien commun, tenteraient de privilégier leur intérêt personnel… qui sa carrière politique, qui sa future promotion… Et il y en a là, comme ailleurs, ainsi en va la nature humaine.
Alors, là où le sens est supposé faire sens commun, et bien là comme ailleurs, la pédagogie managériale doit faire son œuvre : expliquer sans cesse en quoi la feuille de route contribue à ce sens si évident, expliquer la stratégie qu’on met en œuvre pour la mener à bien, expliquer le lien entre les objectifs de l’équipe et l’ambition collective.
Sans oublier le lien avec ce que chacun fait individuellement mais aussi les décisions régulières qu’on prend dans le flux et le flot de l’activité. Sans compter que tout ceci doit se traduire concrètement pour que chacun comprenne, concrètement je le répète, ce que cela veut dire dans les faits. Bref, les bases du management quoi !
En résumé, travailler dans une institution dont la mission semble faire sens de façon évidente n’affranchit pas des fondamentaux du management, bien au contraire, pour s’assurer que ce fameux sens soit bien compris et traduit de façon cohérente par toutes et tous.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire