L’illusion de la frontière vie privée vie professionnelle

Dans cet épisode nous allons nous demander si l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle passe par des frontières étanches entre les deux.

Dans cet épisode nous allons nous demander si l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle passe par des frontières étanches entre les deux.

Ah les murs plutôt que les ponts ! La vieille histoire. Et quand on a dessiné un trait qui sépare deux espaces dont on ne souhaite pas qu’ils se mélangent, alors on est scrupuleux à ce qu’aucun cheveu ne dépasse ! Il est 18H ! Je m’arrête là, désolé, mais maintenant c’est ma vie privée !

Oh chef tu es gentil mais on finit le podcast d’abord non ? Bon, ce dont il s’agit c’est bien de l’idée d’un équilibre de vie privée ET professionnelle. Faut-il répondre à ce besoin d’équilibre par des frontières étanches ? Est-ce une bonne idée pour trouver cette harmonie ?

L’espoir d’un bien-être, l’ambition d’une harmonie de vie – qui passe bien sûr par un équilibre entre les temps de l’activité privée et ceux de l’activité professionnelle – c’est une ambition légitime mais qui n’est peut-être pas aussi simple qu’un mur entre les deux. Alors, l’illusion de la frontière vie privée et professionnelle, c’est quoi l’histoire ?

L’enjeu est important car en réalité ce dont on parle c’est de la possibilité d’une harmonie entre « ce que l’on fait » et « ce que l’on est ». Or, remplacer l’espoir d’un possible équilibre entre envie de bien-être et contrainte de la réalité par une représentation déformée de cette réalité revient à abandonner l’idée même d’un meilleur possible.

Oui, en l’occurrence, parler de « frontières » nécessaires entre deux mondes cela revient presque à affirmer l’impossibilité d’une harmonie entre ces deux mondes.

En fait, plutôt qu’opposer de façon quasi idéologique, on devrait se poser deux questions simples :

  1. Est-il souhaitable d’établir une frontière entre les deux ? Et
  2. Si oui, est-ce possible de le faire ?

La première question appelle deux remarques qui montrent à quel point ce thème devrait faire l’objet d’une réflexion sur notre rapport au travail. D’abord, un salarié est un être humain qui ne fait qu’un et un seul. Il ne se « découpe » pas en deux personnes, l’une au travail, l’autre ailleurs. Il n’a en effet qu’une seule vie, bien que faite d’activités et de temps différents.

Et cette première remarque appelle la seconde : de la « personne » au « personnage », il n’y a qu’un pas. Dit autrement, ériger une frontière entre deux univers dans lesquels nos vies ne seraient pas les mêmes alors qu’on n’a qu’une vie, c’est entretenir inconsciemment l’idée de la nécessité de jouer des rôles incompatibles entre eux.

Or, une même personne peut naturellement exercer les rôles de personnages différents à des moments différents de sa vie, sans pour autant être nécessairement incompatible avec ce qu’elle est. Sans être obligé au travail d’endosser un costume qui ne lui sied pas ou pire un masque vénitien qui affiche un sourire qu’il ou elle a perdu !

Le jeu d’acteur auquel tu fais référence, c’est ce que Sartre soulignait en parlant du « garçon de café » qui devient une caricature de garçon de café à force de se prendre pour lui. Cela peut nourrir un sentiment de mascarade source de dissonance – donc de stress – quand les valeurs de la personne sont battues en brèche par celles qu’exigent les jeux des personnages qu’elle incarne, au travail ou ailleurs.

Autrement dit, en posant le postulat de deux mondes qui devraient être strictement étanches, on entretient l’idée qu’un monde est nécessairement néfaste pour la personne et ne doit donc pas pénétrer l’autre, celui du domaine privé, celui de la « vraie » personne.

A observer certains discours, cette intrusion est bien souvent présentée comme unilatérale à savoir du travail dans la vie privée. C’est aussi une représentation du travail comme souffrance obligatoire, jamais réalisation, ni épanouissement, ni œuvre par exemple ou tout simplement faire ensemble, en équipe.

Donc à la première question, est-il souhaitable de mettre une frontière entre les deux, la réponse finalement est oui si le travail est une souffrance trop importante mais sinon c’est la recherche d’une harmonie entre « ce que l’on est » et « ce que l’on fait » au travail qui doit être privilégiée.

Bien sûr le travail est une contrainte, parfois difficile, mais il n’est pas que cela. Loin de là. Alors on n’érige des murs et des frontières qu’en cas d’extrême nécessité non ? On essaye plutôt de rendre le travail le plus fécond possible pour soi-même. Cela renvoie aux concepts d’engagement, de motivation et d’implication.

C’est l’occasion d’un clin d’œil amical à Maurice Thévenet et son ouvrage « le plaisir de travailler ». Et la seconde question, si on veut le faire, est-ce possible ?

En pratique, c’est presque impossible d’établir une frontière étanche ! Presque tout s’y oppose en réalité et pour de multiples raisons ! On ne va pas les développer en détail ici mais il y en a une qui fait souvent débat entre les militants du « pour » et les défenseurs du « contre » : le digital !

Ah le vilain digital qui rend certes possible ce qui n’est pas souhaitable et qui est donc responsable de son advenue ! Même s’il favorise aussi très concrètement l’émergence d’un possible désiré, tiens comme le télétravail par exemple… En pointant du doigt l’outil, on déplace le débat sur un terrain simpliste qui permet d’affirmer ses postures plutôt que de traiter les véritables problèmes.

C’est plus confortable en effet de s’affranchir de la question de fond, c’est-à-dire de la manière dont on utilise le digital. Sur ce plan on a peut-être une question concrète à régler en entreprise : comment réussir à définir des limites aux usages abusifs que font certains du digital et faire respecter au quotidien des règles élémentaires de « savoir-vivre ensemble » ?

Et la frontière, quand on coupe tout à 18H par exemple, cela protège peut-être sur un plan, mais cela ne règle pas la question. Les comportements abusifs trouveront d’autres leviers car ce dont il s’agit c’est une culture donc une éducation à faire.

Cette question de la frontière entre vie privée et vie professionnelle nous renvoie à une question de fond : comment appréhender, et donc gérer concrètement, le rapport qu’il faut forcément entretenir entre ce qui est personnel, donc privé, et les rôles publics que l’on exerce, notamment dans le cadre d’une activité professionnelle, mais tout en restant en harmonie avec ce que l’on est ?

En résumé, rechercher un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle c’est légitime et souhaitable. Si la frontière peut constituer un ultime recours quand le travail est une trop grande souffrance, l’enjeu est surtout de chercher la plus grande harmonie entre ce que l’on est et ce que l’on fait car le travail peut être aussi fécond sur un plan personnel.

J’ai bon cheffe ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire