Faut-il être conservateur en management ?
Dans cet épisode, le 100ème de Story RH, nous allons nous demander s’il faut être conservateur dans le management … ou pas.
Dans cet épisode, le 100ème de Story RH, nous allons nous demander s’il faut être conservateur dans le management … ou pas.
Conservateur ou progressiste, ancien ou moderne ! Le débat est tranché… non ? La question est « vite répondue » comme dirait l’autre : d’un côté ceux qui sont englués dans la nostalgie de leurs souvenirs qui fleurent bon la naphtaline et de l’autre ceux qui font le monde de demain, conquérants des temps et des idées modernes qui révolutionnent le monde !
C’est vrai qu’à voir comment certains donnent l’impression de réinventer l’eau chaude dans le management ou à observer l’immuable récurrence des modes, on peut se demander si une certaine forme de conservatisme ne serait pas finalement une certaine forme de … sagesse. Alors faut-il être conservateur dans le management ? C’est quoi l’histoire ?
Ahh l’attirance pour la modernité, pour tout ce qui brille de l’illusion de la nouveauté et qui sert souvent bien plus les intérêts de celui qui s’en réclame qu’elle ne résout les problèmes !
Cette « complaisante modernité, qui se clame en « rupture » avec tout! » comme disait le philosophe Rémi Brague, qui la qualifie même de « maladie »[1]
Pourtant, on pourrait penser que le management est un progrès permanent, qu’il invite à une transformation constante et permanente et qu’il faut par conséquent se renouveler sans cesse !
Se remettre en cause et se renouveler oui c’est utile. C’est ce à quoi Einstein nous invite : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème ». Il faut donc s’inscrire résolument dans cette modernité implicitement porteuse de l’idée de rupture. Non ?
Mais la modernité est-elle toujours porteuse de rupture, de novations qui rompent avec les schémas mentaux du passé ? Est-ce toujours nécessaire de rompre avec le passé ? A l’inverse, une posture conservatrice est-elle systématiquement rétrograde ?
L’opposition entre conservateurs et progressistes, entre anciens et modernes, entre modernes et post-modernes est à peu près aussi manichéenne que l’opposition droite-gauche.
Oui parce qu’au fond ce qui compte c’est de résoudre les problèmes, pas de briller, artificiellement. Sans préjuger de la sincérité de celles et ceux qui pensent que modernité et progrès sont indissociables …
C’est bien de cette croyance d’où vient tout le problème. Cette idée que le nouveau serait systématiquement porteur de progrès, là où les recettes anciennes seraient nécessairement rétrogrades. C’est un peu court comme façon de penser et ce pour deux raisons !
La première c’est qu’on pense faire du nouveau là où l’on ne fait que réinventer l’eau chaude. Dans son excellent texte dans RH info sur ce même sujet du conservatisme dans le management Maurice Thévenet nous rappelle que « la nature humaine est oublieuse et l’histoire peu valorisée » [2] … Ceci explique cela…
Et certains pensent être des révolutionnaires en suivant le flot des modes et des mots. Selon la formule consacrée, ce sont des ignorants qui croient savoir … sans savoir qu’ils croient … Tous les créateurs le savent mieux que quiconque, nous ne sommes que des passeurs et toute création doit bien souvent à celles qui l’ont précédée ! C’est l’idée de Francis Bacon : « la vérité est fille du temps », fille de son temps certes mais fille de l’expérience de toute l’humanité. Tradition et modernité sont intimement liées.
La seconde idée reçue c’est de penser que la nouveauté est systématiquement source de progrès. Encore faudrait-il s’accorder sur ce qu’est le progrès. Mais quand bien même ! La solution à un problème contemporain, même si le contexte peut avoir changé, n’est pas nécessairement nouvelle…
Tiens prends une crise sanitaire par exemple. Grande peste en 1720, choléra en 1832, covid en 2020 … A la fin on fait quoi ? On met des masques et on prône la distance physique, la quarantaine et le confinement. Cela ne semble pas nouveau comme solution pourtant on n’a pas mieux …
Si les contextes changent, si les modalités et les contours des situations changent aussi, peut-être que certains sous-jacents, eux, changent moins qu’il n’y paraît de prime abord
Peut-être en va-t-il ainsi de ce qui relève de l’humain et de son management. Précisément parce qu’il y a de l’humain ! On peut imaginer par exemple que des notions comme la peur de la perte de contrôle, l’exercice du pouvoir, les ressorts de la confiance, etc. répondent à quelques principes fondamentaux que les philosophes anciens ont explorés il y a bien longtemps.
Bref, la question n’est pas d’être conservateur ou progressiste mais bien d’avoir la lucidité de conserver ce qui marche et faire évoluer ce qui ne marche pas.
Et ce n’est pas en sautant sur la 1ère mode-rnité qui fait table rase de l’histoire qu’on y arrive mais en bossant, et ce en embarquant dans sa trousse à penser la culture qu’elle nous a léguée. C’est au fond ce que dit Roland Barthes quand il écrit que « tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne ».
En résumé, la question n’est pas de savoir s’il faut être conservateur ou pas mais bien d’avoir la sagesse de profiter des enseignements du passé en conservant une attitude de doute critique et de capacité de remise en question permanente sans chercher à briller en réinventant l’eau chaude.
J’ai bon chef ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire
[1] Brague, R (2016) « Modérément moderne, Les Temps Modernes ou L’invention d’une supercherie » Champs Essais, Flammarion
[2] https://www.fr.adp.com/rhinfo/articles/2017/05/le-management-est-il-conservateur.aspx