Le hackaton en mode pile ou face

Dans cet épisode, nous allons parler du hackathon comme levier d’innovation, ou de tout son contraire… en mode pile ou face

Dans cet épisode, nous allons parler du hackathon comme levier d’innovation, ou de tout son contraire… en mode pile ou face.

Qui n’a pas en effet entendu qu’il fallait tout « hacker » ? Tels ces pirates qui ont fasciné nos enfances jusqu’à celui des Caraïbes dont on tombe forcément sous le charme, nous avons toutes et tous été invité·es à nous réunir, au vert, ailleurs, pour participer à un « hackathon », inévitablement source d’innovation.

Oui, et ça marche bien sûr. Réunir des gens dans un temps et un lieu dégagé de la pesanteur du quotidien et des inévitables jeux de pouvoirs créaticides et autres effets de structure castrateurs, qui plus est en les incitant à penser librement, cela donne souvent de bonnes idées novatrices et concrètes. Mais cela peut être tout son contraire. Alors le hackathon levier d’innovation, c’est quoi l’histoire ?

Revenons aux origines. Le terme vient de la contraction de « hack » – pirater – et « marathon » que tout le monde connait. A l’image du téléthon, c’est donc à l’origine un marathon d’une durée déterminée (genre 2 jours par exemple) en l’occurrence durant lesquels on met en compétition des équipes de développeurs pour prototyper un programme.

Et ça s’inscrit dans une culture particulière, celle du « dév » informatique, des méthodes qui s’y rapportent, et surtout de la culture open source, très communautaire en tant que telle. Bref une émulation collective, communautaire, libre, nourrie par l’aspect ludique de l’événement et productrice de résultat aussi parce qu’il y a une sorte de mise sous pression avec un concours où la vitesse des équipes jouent inévitablement un rôle.

On comprend aisément le principe et surtout pourquoi il est repris dans d’autres domaines, qui n’ont rien à voir, à commencer par exemple quand il s’agit de hacker des processus métier ! Mais l’idée fonctionne quand on joue collectivement le jeu. Il y a là une autre dimension à comprendre c’est celle de la figure du pirate, et l’imaginaire dont elle est porteuse.

Les pirates c’est quand même à l’origine des bandits de grand chemin qui s’assoient sur les lois ! Mais c’est une figure devenue positive dans nos représentations contemporaines. Une image de liberté qui s’affranchit de principes et normes ressentis dans notre société comme trop oppressants.

Oui et parfois vécus comme absurdes dans l’entreprise avec les injonctions contradictoires que les modèles organisationnels tayloriens savent si bien produire quand on les pousse à l’extrême. Alors intuitivement c’est sympa d’être pirate pour « désiloter » ces organisations trop rigides.

D’autant plus que le pirate renvoie à l’image d’une communauté moins régie par des normes et des règles venant du haut que par un code d’honneur, donc des valeurs, et mue par une aventure. Bref, ce qui semblerait manquer à certaines entreprises en quête de valeurs et de sens…

Un ensemble excitant qui ne manque pas de donner un allant à l’opération ! Alors on va dans un hackathon le cœur libre, en se sentant allégé des procédures qui nous pourrissent le quotidien et avec l’envie de l’aventure, comme on l’aurait pour un vrai projet d’entreprise. En d’autres termes, un engagement doublé d’une implication affective, qui, sur un temps donné, ne peut que donner des résultats, précisément parce que les gens se sont donnés.

Alors le hackathon ça marche, c’est une méthode qui permet d’innover.

Oui. En tout cas, vu ainsi, cela produit au moins un résultat : les participants vont vraisemblablement produire des idées. Novatrices ou pas. Mais la question est là. Au-delà du fait qu’elles ne sont pas forcément novatrices, il y a surtout ce qu’on en fait après.

L’innovation, cela peut aussi gêner significativement des positions établies, des prérogatives bien installées et justement ces jeux de pouvoir dont on cherchait précisément à s’extirper en se mettant au vert, bandeau sur l’œil gauche et bouteille de rhum à la main droite.

Mais si l’on veut ne pas changer ces positions de pouvoir. Si l’on cherche à préserver un statu quo, peut-être même au détriment de l’intérêt du bien commun, qui consiste à essayer de faire mieux, mais que l’on privilégie ses intérêts personnels.

On ne peut pas afficher cela. Comment avoir une responsabilité de premier plan et – en même temps – s’opposer à l’injonction d’innovation parce que cela nuirait potentiellement à nos intérêts bien établis ? Les collaborateurs n’accepteraient jamais cela et ce serait contre-productifs, surtout en termes de carrière personnelle.

Alors faisons justement un hackathon. Bon je ne parle pas là de réunir les gens le week-end et de les faire bosser gratuitement à coup de pizzas et de bières, mais au fond en jouant sur la fibre affective et cette impression de liberté retrouvée face à une organisation aux rigidités de plus en plus rejetées par les gens, on se donne là l’image du novateur, dans la parfaite ligne du parti !

Mais les belles idées – novatrices ou pas – avec des processus tout nouveaux tout beaux que l’on aura hackés le temps de deux jours au vert, quand on reviendra dans le gluant du quotidien, et bien elles risquent de s’enliser, par la force des choses, servant alors merveilleusement bien les intérêts de la personne qui ne voulait pas voir ses prérogatives changer d’un iota tout en, bien sûr, n’étant pas affublée d’une étiquette rétrograde si nuisible à sa carrière dans une entreprise qui fait de l’innovation son enjeu des temps modernes !

La triste défaite du quotidien d’Henri Michaux revient ou cette intendance qui ne suit pas comme l’affirmerait un président face à des corps intermédiaires résistants ou des intérêts corporatistes… Alors parfois, à l’instar de la personne qui demanderait aux gens leur avis pour mieux ne pas en tenir compte, le hackathon peut aussi servir habilement les intérêts de celle qui ne veut surtout pas que ça change.

En résumé, le hackathon consiste à réunir des personnes sur une courte période en suscitant leur engagement et en comptant sur leur intelligence collective pour produire des idées nouvelles et utiles. Mais pour certaines personnes cela peut être aussi une manière détournée de faire en sorte que rien ne change pour préserver leurs intérêts – tout en affichant une image d’innovation – car les belles et bonnes idées peuvent aussi s’enliser dans la structure normée quand on reviendra dans le quotidien. Une chose donc et son contraire.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire