Dans la vie professionnelle, la fin justifie-t-elle les moyens ?
Dans cet épisode, nous allons nous poser une question vieille comme Erode : la fin justifie-t-elle les moyens ? Du moins dans la vie professionnelle.
Dans cet épisode, nous allons nous poser une question vieille comme Erode : la fin justifie-t-elle les moyens ? Du moins dans la vie professionnelle.
Parfois on nous demande d’être borderline, genre « pas vu pas pris », mais au fond « c’est pour le business hein » … donc tout va bien ! « Les affaires c’est les affaires » nous dit-on, comme si l’on pouvait facilement s’affranchir de toute question d’ordre moral.
Alors on convoque le brave Machiavel et son Prince, à qui l’on prête cette phrase qui guide la vie professionnelle des uns et tord parfois aussi le bide des autres : oui mais, je cite, « la fin justifie les moyens. »
Mais est-ce bien vrai ? Peut-on raisonnablement penser que la finalité que l’on poursuit dans la vie professionnelle justifie les moyens qu’on emploie pour la satisfaire ? À n’importe quel prix ? Entre compromis et compromission, entre les petits arrangements, l’immoralité et parfois même l’amoralité, c’est quoi l’histoire ?
Commençons par le début, en l’occurrence la fin. C’est quoi cette fameuse « fin » qui justifierait les moyens. Parce que c’est bien souvent là où le bât blesse. On n’a pas toutes et tous la même représentation de la fin à laquelle il est fait référence.
La fin c’est bien la finalité, le but, c’est-à-dire ce que l’on vise. Or, dans une entreprise que vise-t-on ? C’est bien là tout le problème ! Commençons par exclure toute fin exclusivement personnelle, parce que celle-ci ne peut en aucun cas justifier quoi que ce soit dans la perspective qui nous intéresse ici, à savoir la moralité ou non de ce que l’on fait.
C’est sûr que si la fin à laquelle on te demande de te référer pour faire un truc pas clean c’est l’intérêt personnel de celui qui te le demande … bof bof bof sur le plan éthique ou moral, mets les mots que tu veux !
Alors, la seule fin qu’on pourrait raisonnablement convoquer, c’est bien une fin collective ! Une finalité qui se place au-dessus des intérêts personnels. Mais là encore, tout dépend de ce qu’on entend par là.
La finalité d’une entreprise c’est quoi ? De la rentabilité à court terme ? De la valeur ajoutée durable ? Sa raison d’être ? Réussir sa mission et sa vision, en respectant ses valeurs ? Sur le fond, c’est loin d’être si simple que cela, et cela renvoie à de nombreuses notions comme la RSE, les entreprises à mission, etc. mais ce sont d’autres sujets
Le truc pernicieux sur ce sujet, c’est que parfois certains sont bien assez habiles pour brandir l’étendard du bien commun – l’entreprise – mais en en déformant l’essence pour que cela serve habilement leurs intérêts personnels.
Ou comment confondre, par exemple, le projet d’entreprise et l’atteinte de quelques indicateurs qui le réduisent à une performance de court terme, quitte à mener une politique de terre brûlée, mais parce que cela sert bien mon bonus de fin d’année ou parce que je sais bien que de toute façon je vais partir bientôt… ? Donc autant se goinfrer sur la bête tant qu’elle n’est pas morte.
Oui ou tout simplement sacrifier les intérêts de certaines des parties prenantes pour satisfaire ceux d’une seule. Bref, on le voit bien, l’argument de la fin ne tient qu’à la condition que celle-ci serve le bien commun. Dans le cas contraire, la fin dont il est question n’est pas juste et ne justifie donc rien.
Certains et certaines ont peut-être lu Machiavel un peu trop vite. Je cite ses écrits : « Un habile législateur, qui entend servir l’intérêt commun et celui de la patrie plutôt que le sien propre et celui de ses héritiers, doit employer toute son industrie pour attirer à soi tout le pouvoir ». Je répète : pour servir l’intérêt commun.
N’est pas prince qui veut en effet. Et à supposer que la fin poursuivie s’inscrive dans cette perspective légitime du bien commun, la seconde question qui se pose est donc : dans cette hypothèse, tous les moyens sont-ils bons ?
Cela pose en d’autres termes la question de savoir si des moyens immoraux sont justifiables par une finalité qui, elle, le serait. L’immoralité du moyen serait-elle excusée par la moralité de la finalité poursuivie ?
En gros, tout serait permis si c’est efficace pour servir une juste cause c’est ça ? Même si ce n’est pas un moyen moral.
C’est en effet ce que cela voudrait dire. Et l’on sait que cette question morale, certains ne s’en embarrassent pas. Mais alors, il y a le rappel à la loi non ?
Oui, c’est juste oublier que l’entreprise et ses représentants, comme le citoyen, n’est pas au-dessus des lois ! Donc bien sûr que tout n’est pas permis. Seulement, on le sait, cet argument légal est parfois malheureusement insuffisant pour arrêter celles et ceux qui s’en tamponne.
Là, au fond, normalement, la question qu’il faudrait se poser, c’est celle de l’élasticité par rapport à une règle. Ce qui détermine la marge de manœuvre que l’on peut se donner par rapport à une règle, est-ce que la situation justifie un écart par rapport au formalisme de la règle pour pouvoir en respecter l’esprit.
Donc à ce stade en résumé on pourrait conclure que la fin justifie les moyens quand deux conditions sont réunies : que la fin soit morale d’une part et que les moyens, même s’ils ne respectent pas la loi à la lettre, en respectent au moins l’esprit !
Absolument. Mais malheureusement, on sait que pour certaines et certains ces sont insuffisants. On croise parfois des gens qui estiment que la finalité qu’ils poursuivent, qu’ils jugent morale et dont ils sont souvent le seul juge, les affranchit de la moralité ou légalité des moyens, au seul motif que c’est efficace.
Pour cela on pourrait questionner l’argument de l’efficacité car généralement les autres ne sont pas dupes ! Et la posture de ces mercenaires prêts à tout, au nom d’une idée qu’ils ou elles se font de l’efficacité, a souvent des conséquences délétères, sur l’efficacité à plus long terme par exemple quand il s’agit d’une politique de la terre brûlée
Ou sur les autres aussi, quand il s’agit de bafouer les valeurs de ses collaborateurs par exemple.
Oui, mais dans ce cas l’argument est peu de poids face à ces gens-là car il convoque une efficacité sur un plan auquel il ne prête pas intérêt.
Alors il ne reste qu’à les renvoyer à leur propre conscience.
En résumé, pour que la fin justifie les moyens, il faut que la fin soit elle-même juste. Et même dans ce cas, les moyens doivent bien sûr respecter la loi. Si ce n’est pas dans son formalisme à la lettre, c’est au moins dans son esprit c’est-à-dire ce qu’elle vise. Tout n’est évidemment pas permis, même dans les affaires et cela renvoie chacun et chacune à sa conscience.
J’ai bon cheffe ?
Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire