La vision globale, une affaire de liens !

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur ce que signifie avoir une vision globale, et notamment nous demander si ce n’est pas une affaire de liens.

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur ce que signifie avoir une vision globale, et notamment nous demander si ce n’est pas une affaire de liens.

Allez ! Tu as le nez scotché dans le guidon, lève la tête Poulidor et prends de la distance, fais un pas de côté pour prendre du recul ! Bref, essaye d’avoir une vision globale de la situation au lieu d’être englué dans les détails.

L’injonction à comprendre la situation dans son ensemble ! Pendant qu’on y est, opposons la théorie à la pratique, opposons l’abstrait au concret, opposons le « big picture » des consultants aux détails de celles et ceux qui besognent, opposons le tout aux parties qui le composent.

Que de représentations binaires, dont les nuances et les complémentarités ont été balayées… Ces représentations où l’on oppose plus qu’on compose, où les différences ne sont pas sources de richesse mais l’objet d’une ligne de démarcation entre deux mondes, celui d’en haut et celui d’en bas, celui d’ici et celui de là-bas.

Elles sont en effet souvent porteuses de cette forme de manichéisme, chacun s’estimant dans le camp du bien, ma vision et celle de l’autre, la frontière plus que le pont ! Mais si l’on dépasse ces visions courtaudes, c’est quoi cette fameuse vision globale à laquelle tu m’invitais ? La vision globale, une affaire de liens, c’est quoi l’histoire ?

Derrière cette expression, « big picture » ou vision globale, se développe l’idée d’une compréhension globale d’une situation. En substance, il s’agirait de penser qu’en prenant du recul, en adoptant un grand angle on verrait mieux la situation dans son ensemble.

C’est certain qu’en ayant un point de vue plus élevé, on embrasse un panorama plus vaste. C’est drôle d’ailleurs ce que les mots peuvent insinuer. Un point de vue. On voit bien, si j’ose dire, l’allusion entre le point de vue au sens de là d’où j’observe avec mes yeux et le point de vue au sens de mon avis sur quelque chose.

Alors de ce point de vue-là, bien sûr la personne qui est allongée le nez dans les pâquerettes ne risque pas de voir bien loin. On sent bien, pour privilégier ce sens de l’ouïe à celui de la vue, toute la condescendance de celui qui, haut placé, échappe aux effluves du plancher des vaches.

Le monde d’en haut et le monde d’en bas. Celui qui dirige et celui qui fait. La vision globale, celle supposée comprendre et l’action d’en bas, celle à qui l’on ne prête que la capacité à exécuter dans le cadre déterminé par celui d’en haut.

Dans cette perspective con-descendante, avoir une vision globale ce n’est pas prendre de la hauteur de vue mais s’écarter du réel et donc, paradoxalement, moins bien le comprendre. Or, la finalité visée n’est pas de se placer au-dessus des autres mais bien comprendre la réalité d’une situation.

La hauteur de vue et la distance comme représentation de la compréhension des choses c’est un peu simpliste non ? En entreprise, peut-être est-ce une résurgence d’un Taylorisme avec son double découpage.

Le découpage horizontal de la chaîne de valeur, et c’est utile, mais aussi un découpage vertical entre celui qui pense, le travail prescrit, et celui qui exécute, et à qui on ne laisse que peu d’autonomie puisqu’implicitement on ne l’estime pas capable de penser par lui-même.

Cela remonte peut-être aussi plus loin à un débat entre une pensée réductionniste et une approche holistique.

La première considère le tout comme la somme de ses parties et qu’il suffit donc de le décomposer pour le comprendre. C’est le principe qu’évoque Descartes dans son fameux Discours de la Méthode [1] : « diviser chacune des difficultés que j’examinerai, en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre »

La seconde, l’approche holistique voit le tout comme un ensemble indivisible qui est plus que la somme de ces parties, qui ne peut pas être réduit à la somme de ces parties. « Une pensée de l’organisation complexe est nécessaire, qui étudie la relation du tout avec le comportement des parties » écrivaient Ilya Prigogigne et Isabelle Stengers dans la Nouvelle Alliance[2].

La vision globale à laquelle il est souvent fait référence en entreprise, que certains appellent parfois vision hélicoptère ou vision 360 s’écarte bien en vérité de cette vision holistique. Cette imprécision en fait laisse croire que le tout étant plus grand – donc inconsciemment plus gros – il faut de la distance pour l’embrasser.

La vision holistique nous dit en vérité autre chose. Elle dit que le tout ne se réduit pas à la somme de ses parties et qu’il faut comprendre les interactions, précisément entre ce tout et les parties qui le composent, comme il faut comprendre les interactions entre les parties entre-elles.

Et peut-être peut-on alors penser que certaines de ces interactions entre les parties elles-mêmes, in fine, conditionnent en partie certaines propriétés ou caractéristiques du tout. Et c’est donc creuser ces interactions entre parties qui aide à comprendre le tout qu’elles forment.

D’autant que certaines de ces interactions peuvent être des liens logiques et l’ensemble de ces interactions sous forme de liens logiques entre les parties finissent par faire que le tout devient un raisonnement.

Ainsi, avoir une vision globale d’une situation, au sens de la comprendre dans son ensemble demande peut-être de s’intéresser aux liens qui unissent ses sous-éléments. Et c’est là où le débat qui consisterait à opposer le terrain et la vision n’a plus aucun sens.

Car en effet la connaissance du terrain, de la réalité de l’activité dans l’entreprise, c’est la connaissance des parties. Il suffit alors de s’intéresser à leurs interactions, en essayant notamment de comprendre les liens logiques, les liens de causalité qui les régissent pour saisir le tout.

Et c’est alors qu’on aura une vision globale de la situation.

En résumé, avoir une vision globale ce n’est pas regarder les choses de loin mais s’intéresser aux liens qui les unissent, notamment les liens logiques, pour mieux comprendre l’ensemble qu’elles forment. C’est cette compréhension qu’on peut finalement appeler vision globale.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] R. Descartes, (1902) [1637] Discours de la méthode, A. T. VI, p. 18

[2] I. Prigogine et I. Stengers, la Nouvelle Alliance, pp. 170-171.