Le digital, risque de fracture sociale en entreprise

Dans cet épisode, nous allons nous demander si le digital peut constituer un risque de fracture sociale en entreprise.

Dans cet épisode, nous allons nous demander si le digital peut constituer un risque de fracture sociale en entreprise.

Bah, aujourd’hui tout le monde a un ordi, tout le monde sait s’en servir, tout le monde travaille avec le digital, utilise Internet et tout le monde est à l’aise sur teams ! D’ailleurs, avec la crise de la Covid tout le monde s’y est mis non ?

Certes et c’est un peu ce que le discours ambiant nous dit. Mais à ignorer les nuances, le halo de lumière un peu éblouissant de ce discours peut conduire aussi à ce que nous ignorions certains risques, sources de fracture sociale. Alors le digital, risque de fracture sociale en entreprise, c’est quoi l’histoire ?

Avant de parler des risques de fracture et de leurs potentielles conséquences, il convient de rappeler que non tout le monde n’est pas à l’aise avec le digital ! La maîtrise du digital par toutes et tous est une illusion !

Tu as raison, en 2021 l’illectronisme est une réalité qui toucherait plus de 13 millions de personnes majeures en France. C’est à dire 26% de la population de plus de 18 ans[1] !

Ce manque de maîtrise du digital – et on ne parle pas ici d’en comprendre les sous-jacents ou la portée mais simplement d’avoir une adresse email et de savoir chercher une information sur Internet – et bien ce manque-là crée de réelles disparités dans la population.

L’immaturité numérique cela réduit non seulement l’accès à l’information mais aussi aux droits, y compris les plus élémentaires[2]. Si on parle de l’accès au soin par exemple, ou au vaccin en période de Covid : l’une des causes de difficultés pour certains résidaient dans le manque de maîtrise du numérique ou tout simplement d’accès à internet pour s’inscrire dans un vaccinodrome.

Alors bien sûr quand on dit ça, on imagine assez aisément le papi et la mamie dans leur campagne, sans ordinateur. Sur les 13 millions de personnes dont tu parlais, on imagine surtout les personnes de plus de 65 ans. Et ça pose en effet comme tu le soulignes des questions d’ordre sociétal bien sûr. Mais le ou la cheffe d’entreprise qui nous écoute se sent moins concerné. L’entreprise ne va pas prendre à sa charge l’acculturation au numérique des personnes en retraite.

Oui et non ! Bien sûr que la question de l’âge est déterminante dans l’accès au numérique. Mais détrompe-toi, il n’y a pas que les vieux qui sont à la ramasse !

C’est pas ce que j’ai dit ! Ne le prends pas personnellement !!

Je te donne juste un chiffre pour te convaincre : les 18-24 ans, plutôt jeune tu en conviens, et même très proche de rejoindre nos entreprises si ce n’est déjà le cas, et bien 23% d’entre eux se déclarent inquiets à l’idée de devoir accomplir la plupart de leurs démarches administratives sur internet.

Tu as raison, même les digital natives sont concernés ! Être né avec les réseaux sociaux ne veut pas dire que l’on est à l’aise avec l’informatique ! Une étude Australienne[3] révèle que 45% des étudiants peuvent être considérés comme des utilisateurs rudimentaires.

En gros on sait cliquer mais on est perdu dès qu’il y a un message d’erreur qui apparait. On ne va pas parler là d’illectronisme, bien sûr, mais de là à dire qu’il y a une grande maîtrise de l’informatique chez tous les jeunes, il y a un pas !

Et c’est le cas aussi de certaines personnes entre 24 et 65 ans d’ailleurs, tant qu’on y est, tant sur la maîtrise de l’informatique en tant que telle que sur la conscience des impacts du digital sur les métiers.

C’est vrai que quand on sait qu’en 2017, en France, 47%[4] des dirigeants de PME et ETI estimaient que le digital n’aurait pas un impact majeur sur leur activité et qu’on a vu 3 ans plus tard le rôle qu’il a joué dans la crise… il y a de quoi se questionner.

La combinaison entre, d’une part, une maturité numérique très hétérogène au sein de la population active, et, d’autre part, le fait que le numérique soit devenu une quasi norme de la vie professionnelle, constitue un risque de fracture du corps social.

Cette fracture du numérique vient en fait renforcer des fractures existantes. On en a parlé sur la différence de maîtrise moyenne entre les plus de 65 ans et les autres.

Il y a d’autres nature de fractures sous-jacentes : la fracture territoriale entre ville et campagne. Les niveaux d’études ou encore de revenus.

Ces facteurs sont sans surprise des facteurs déterminants d’inégalités qui existaient avant le digital mais que le digital vient renforcer encore davantage. Certes, ce dont nous parlons ici relève avant tout des politiques publiques. Mais l’entreprise doit s’en préoccuper.

D’abord parce que l’entreprise est aussi constituée de populations touchées par une faible maîtrise du digital et pourtant ces populations font tourner l’activité et parfois même on en a plus que jamais besoin, et on a même parfois beaucoup de mal à les recruter.

Et on l’a vu de nombreuses catégories peuvent être touchées, si ce n’est d’illectronisme, au moins d’une maîtrise perfectible de ce qui s’impose pourtant comme une norme dans de nombreux métiers.

Cette fracture est en effet d’autant plus délicate à résorber qu’elle touche un spectre vaste de personnes au sein d’une même entreprise, ajoutant une difficulté supplémentaire dans la détection des insuffisances.

Ajoute à cela qu’il n’est pas toujours facile pour un dirigeant ou pour un digital native à qui on prête aisément des compétences sur ces sujets de dire que « non, il ne sait pas » et qu’il a besoin d’être accompagné.

Alors on met tout ça sous le tapis et le risque de fracture du corps social s’intensifie avec un fonctionnement à 2 vitesses : ceux qui jonglent aisément d’application en application, adoptent les nouveaux modes de travail qui y sont liés, trouvent facilement l’information là où elle est nichée… et les autres.

Et ces fractures numériques risquent alors d’accentuer des fractures sociales existantes et d’en créer d’autres, à l’échelle de la nation comme à celle de l’entreprise.

En résumé, l’hétérogénéité de la maîtrise du digital en entreprise touche toutes les populations et il convient d’y prêter sérieusement attention si l’on veut éviter qu’elle ne soit source de fractures sociales. Et il n’y a aucun fatalisme en la matière car comme tout apprentissage il suffit de s’y mettre !

J’ai bon cheffe ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

[1] https://societenumerique.gouv.fr/13-millions-de-francais-en-difficulte-avec-le-numerique/

[2] Source : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/covid-19-plus-les-revenus-sont-eleves-plus-le-taux-de-vaccination-est-fort-selon-une-etude-20210713

[3] G. Kennedy et al “Beyond natives and immigrants: exploring types of net generation students”, 2010, Journal of Computer Assisted Learning.

[4] Source : Bpifrance Le Lab enquête « Histoire d’incompréhension », février-avril 2017