Pourquoi les entreprises adoptent-t-elles les modes managériales ?

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur les raisons pour lesquelles les entreprises adoptent les modes managériales.

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur les raisons pour lesquelles les entreprises adoptent les modes managériales.

Comme tout phénomène de mode, les modes managériales reposent sur des « croyances collectives » dont la diffusion repose largement sur ce que les théoriciens appellent des « fashion setters » : des cabinets de conseils internationaux, aux « gourous » auto-proclamés experts en passant par les « influenceurs » du web, ces fashion setters sont nombreux.

Et ce sont souvent des marchands qui surfent sur nos peurs et nos fantasmes avec des mécanismes de vente bien connus. Mais si l’on n’est pas dupes face aux techniques manipulatoires mercantiles, on peut tout de même s’interroger sur les raisons pour lesquelles des professionnel·les avisé·es en entreprise adoptent ces modes managériales. Alors, les modes, c’est quoi l’histoire ?

Il y a certainement plein de bonnes raisons et nous allons nous concentrer sur quatre d’entre elles. Tout d’abord le fait que les entreprises font face aux mêmes tendances structurantes et à la même conjoncture.

Toutes les entreprises sont soumises aux soubresauts de leur environnement. Alors, même si on ne va pas comparer les difficultés auxquelles une grande entreprise mondiale du luxe et une PME industrielle locale sont confrontées, certaines tendances majeures traversent continents, frontières et secteurs d’activité et affectent, de fait, la vie des entreprises et celle de leur écosystème.

La crise sanitaire de la Covid 19 en est un parfait exemple. Elle nous rappelle, brutalement que des phénomènes structurants conditionnent le panorama de toutes les entreprises et les obligent à affronter les mêmes natures de problèmes.

C’est en effet par exemple le cas des évolutions des rapports de force géopolitiques et macro-économiques, la démographie, le partage des ressources naturelles, l’émergence de technologies.

Facile alors de puiser dans ce que les marchands appellent des « insights » pour mettre en avant les représentations communes que partagent les dirigeant·es sur ces problèmes de fond. D’autant que les travaux issus de la théorie de la contingence[1] ont montré que les caractéristiques structurantes de l’environnement des entreprises conditionnent significativement leur structure.

La deuxième raison qui pousse les entreprises à adopter les modes, c’est l’immuable complexité des problèmes à résoudre. Et ces problèmes ne proviennent pas uniquement des caractéristiques de leur environnement mais aussi de la complexité inhérente de ce qu’elles ont à gérer.

Par exemple la nécessité de combiner des modèles organisationnels qui favorisent l’efficacité et la productivité (comme le modèle taylorien) et ceux qui favorisent l’innovation et l’adaptation, mais c’est un autre sujet.

Un autre sujet certes, mais qui expliquent en grande partie les tendances managériales ces 40 dernières années car elles visent toutes in fine à résoudre ce problème sous-jacent.

L’humain est une autre complexité immuable. “Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie“, disait François de Sales. On comprendra aisément qu’il n’est pas difficile de trouver là une constante propice à la récurrence des modes. En bref, même maquillées de la modernité, toutes ces modes mobilisent des causes profondes en grande partie identiques d’une entreprise à l’autre depuis des décennies.

La simplification abusive qui prévaut parfois face à toute cette complexité est une troisième raison.

Le monde, l’humain et même l’entreprise sont complexes par nature, ce qui, pour les comprendre, demande précisément une capacité à penser cette complexité, à établir des liens entre les choses, à formuler une pensée globale et à favoriser une démarche prospective chère à Gaston Berger.

Oui mais on n’a pas le temps pour tout ça ! La vie des affaires a besoin de décisions et d’actions rapides. Et c’est là que les professionnels se retrouvent face à un paradoxe.

Là où il conviendrait en théorie de privilégier un temps pour la réflexion et un autre pour l’action, le réflexe protecteur et rassurant consiste à simplifier exagérément.

On pourrait parler ici de la tyrannie du concret ou encore des biais cognitifs qui constituent un excellent cocktail qui nous pousse à adopter des modes managériales en privilégiant donc la facilité.

Enfin, l’adoption des modes managériales repose également sur notre absence de mémoire, voire sur notre “consanguinité”.

À force de penser uniformément entre soi, on finit par ne plus penser du tout !

Le manque de diversité conforte évidemment le risque d’adopter une représentation uniforme des problèmes et donc une pensée unique quant aux solutions pour y répondre.

D’autant plus, que les risques et les contraintes normatives auxquels nous sommes confronté·es ne nous invite pas vraiment à adopter une pensée dissidente, à sortir du cadre établi, à porter une voix originale, à formuler une critique, de peur d’être rappelé·e à l’ordre !

En tuant le fou du roi, on assassine le roi lui-même en l’isolant dans sa tour d’ivoire et en le condamnant de fait à se couper du réel.

Et non seulement on n’écoute pas le fou du roi, l’impertinence pertinente, mais en plus on se complait à croire que l’on a réinventé l’eau chaude à chaque fois que l’on a une idée, bien que celle-ci ait déjà été revisitée depuis des lustres …

Et cette absence de mémoire conduit à amplifier cette forme de « consanguinité » propice à la fabrication d’entendements communs et de représentations simplistes qui fait le lit des modes.

On l’a vu, il y a de nombreuses raisons d’adopter ces modes managériales. Les marchands et leurs manipulations ne sont évidemment pas les seuls en cause. On peut certes critiquer la lâcheté et la ruse de Panurge, cela ne masque pas pour autant les atavismes des moutons !

Il n’y a rien de plus stable en vérité que l’existence de modes. Le problème n’est donc pas dans leur existence, car elles présentent aussi des avantages (comme ouvrir les yeux sur de bonnes idées par exemple) mais dans leur adoption aveugle qui conduit les paresseux à copier-coller sans autre forme d’esprit critique.

L’enjeu réside donc bien dans ce que l’entreprise met en œuvre pour préserver et développer l’esprit critique, faute de quoi, avec Milan Kundera nous pourrons affirmer que je cite « le cœur serré, je pense au jour où Panurge ne fera plus rire. »[2]

En résumé, l’adoption des modes managériales ne reposent pas uniquement sur les techniques des marchands mais également sur 4 facteurs : le fait que les entreprises sont confrontées aux mêmes tendances structurantes et à la même conjoncture, l’immuable complexité d’une partie des problèmes qu’elles ont à résoudre, la simplification dont elles abusent parfois face à cette complexité, et enfin, le manque de diversité et l’absence de mémoire qui renforce l’unicité de la pensée.

Il convient donc d’écouter ce que ces modes ont à nous apprendre, de s’en inspirer s’il le faut, tout en gardant notre esprit critique aussi aiguisé que possible

J’ai bon cheffe

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[1] Burns, T., & Stalker, G. M. (1961). The Management of Innovation. London: Tavistock

[2] Kundera, M. (1993) Les testaments trahis