Les tenailles des augmentations de salaires

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur l’épineuse question de l’augmentation des salaires en période inflationniste et sur les difficultés que cela peut poser.

Dans cet épisode, nous allons nous interroger sur l’épineuse question de l’augmentation des salaires en période inflationniste et sur les difficultés que cela peut poser.

Aaah on est bien embêté quand les prix montent. Et même si l’inflation et l’augmentation du coût de la vie ce n’est pas rigoureusement la même chose, et bien quand l’inflation est élevée, ça tape dans la gamelle !

Alors puisque les gens en ont peur, on les protège, avec des boucliers sur le prix de certains produits, nous rappelant cette jolie phrase de Michel Audiard : « on est gouverné par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis. »

Mais ça ne suffit pas, parce que les gens, justement ce qu’ils veulent c’est des radis. Bref des augmentations. Donc c’est simple, on n’a qu’à augmenter les salaires et le problème est réglé. Quand tout monte, celui qui monte à la même vitesse que le reste, il fait du sur place mais au moins il ne recule pas !

Sauf que ce n’est pas si simple que cela. Du moins du point de vue de l’entreprise, parce que cela l’inquiète aussi ! Alors les tenailles des augmentations de salaires, c’est quoi l’histoire ?

On sent bien en effet que, derrière ce sujet, se dessine les contours d’un rapport de force. Christian Chavagneux, journaliste économique, affirmait en ce sens : « L’inflation est et a toujours été d’abord un phénomène politique et social »[1]. Et c’est certainement le cas.

Mais c’est aussi un problème de gestion plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. En substance, la question n’est pas de savoir si l’entreprise est gentille ou méchante, en mode « salauds de riches, salauds de pauvres » mais de comprendre les termes de l’équation.

L’attente d’augmentations en période d’inflation est légitime. Cela ne fait aucun doute, surtout lorsque celle-ci prend une ampleur à laquelle finalement personne n’a été habitué. Et la demande porte naturellement sur l’augmentation des salaires.

Donc du récurrent. Or, cela ne tombe pas bien cette affaire, parce que justement quand tout semble incertain à ceux qui conduisent les affaires, bah ils ne veulent pas trop charger la barque dans la durée !

La réponse privilégiée évidemment ce sont donc des primes. On observe un phénomène conjoncturel, même si la conjoncture peut durer longtemps, et on répond par une mesure conjoncturelle. C’est logique : un phénomène variable appelle une réponse variable.

Mais c’est là où la première tenaille se dessine. Une partie des salariés répond sincèrement que cela ne lui suffit pas et, à tort ou à raison ce n’est pas le sujet, estime ne pas se sentir suffisamment protégée par une mesure temporaire dont elle ne sait pas si elle sera reproduite dans l’hypothèse où le fait conjoncturel qui la motive dure longtemps.

Donc elle demande une augmentation du fixe ! Et l’entreprise alourdit alors irrémédiablement sa structure de frais fixes.

Mais dans le même temps, elle fait face à une pénurie de main d’œuvre qui pénalise parfois très significativement son activité, qui la met même en péril pour certaines d’entre elles, ce qui l’oblige non seulement à être la plus attractive possible et surtout à choyer ceux qui sont là plutôt que de les voir partir !

Les termes de la première tenaille sont donc posés : difficile en cette période de reprise de l’inflation dans des proportions méconnues de la plupart des salariés de ne pas céder à des revalorisations significatives des salaires fixes, quand bien même s’agisse-t-il d’une décision qui alourdit la barque durablement.

Surtout inopinément ! Car les termes de la seconde tenaille sont ceux d’une part d’une augmentation de l’incertitude sur tous les fronts de la vie de l’entreprise et d’autre part des autres pressions fortes qui pèsent sur son activité, de la pénurie de matières premières à l’inflation des prix sur les entrants en passant par les surcoûts liés aux multiples désorganisations de son activité.

En d’autres termes, la seconde tenaille la mord tout aussi fort sur un autre flanc. Une tenaille sur la disponibilité et les coûts de ce qui rentre – les intrants – et une tenaille sur les coûts de leur transformation dont les salaires constituent une part importante.

Et une troisième tenaille pour dessiner un outil imaginaire à 3 branches, sur ce qui sort, à savoir une incertitude grandissante sur les revenus.

L’équation est par conséquent loin d’être aussi simple que cela. Il ne suffit pas de dire qu’il faut augmenter les salaires comme s’il s’agissait de prendre à Paul, qui est mieux loti, pour donner à Jacques, qu’il l’est moins.

Dans cette configuration simpliste la réponse est en effet simple. Une augmentation significative des salaires fixes est légitime pour les populations les plus affectées, c’est-à-dire celles qui disposent de moins de marges de manœuvre.

C’est, dans cette hypothèse, diminuer ses marges pour équilibrer un système qui ne peut durablement fonctionner, à nos yeux, qu’à la condition d’un partage considéré comme juste et équitable entre les parties prenantes. On ne fait pas une entreprise contre ou au détriment des gens qui travaillent mais avec eux.

Mais pour certaines entreprises, la triple tenaille dont il s’agit prend une autre tournure que celle du partage de la valeur ajoutée. Pour certaines c’est plutôt une question de survie ou, à tout le moins, de préservation de ses équilibres vitaux et durables.

Pour ces entreprises, c’est de la pénurie qu’il y a à se partager, ce qui n’affranchit en rien de la question du juste partage… Et cela renvoie à une autre question, celle de savoir qui paye le risque de la destruction de valeur…

Ce d’autant plus que les concurrents veillent naturellement au grain. Enfin surtout au tien pour te le piquer ! Comme disait Warren Buffet « c’est lorsque la mer se retire que l’on voit ceux qui nageaient sans maillot »…

En l’occurrence certains concurrents plus gras que toi pourraient bien être tentés de t’affamer en « fixant » en quelque sorte une norme sectorielle en matière d’augmentation des fixes que tu ne pourras pas suivre. Une autre manière de faire le ménage.

Le tout posant une autre question sous-jacente, à savoir celle de la sincérité d’analyse et de communication de la situation sans laquelle aucune mesure ne pourra être perçue comme acceptable. Une sincérité qui, si elle est réelle, doit être accompagnée d’une pédagogie irréprochable des faits et des mesures qui y répondent.

Or, on connaît les effets d’aubaines que certains adeptes des politiques de court terme pourraient être tentés de saisir en brandissant le spectre de la peur au détriment de l’honnêteté de ces mêmes faits.

Parions qu’en la matière les gens ne sont pas tous dupes, et que les dits adeptes de l’effet d’aubaine, le paieront sur d’autres aspects, notamment celui d’une fracture de plus en plus grande avec celles et ceux qui les font vivre.

En résumé, augmenter les salaires fixes en période de forte inflation est une réponse légitime à la condition que cela ne fragilise pas les équilibres vitaux de l’activité, quand celle-ci est objectivement soumise à d’autres facteurs de contraintes qui pourraient la mettre en péril. Cela pose la question du partage entre parties prenantes, de la valeur ajoutée bien sûr, mais aussi de la destruction de valeur lorsqu’elle se produit.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire.

[1] Christian Chavagneux – Alternatives économiques, Septembre 2020, n°404