Vive les bouffons et les bouffonnes !

Dans cet épisode, nous allons célébrer les bouffons et les bouffonnes et évoquer pourquoi les entreprises en ont vraiment besoin !

Dans cet épisode, nous allons célébrer les bouffons et les bouffonnes et évoquer pourquoi les entreprises en ont vraiment besoin !

« Espèce de bouffon » t’es un boloss toi ! Un cassos ! Allez… combien de fois avez-vous entendu cette expression qui, aux yeux de certains et de certaines, résonne comme une insulte suprême à l’égard de ceux qu’ils jugent comme plus cons qu’eux !

Le bouffon ! Une expression que le dictionnaire qualifie de « familière » et qui désigne toujours selon ce même dictionnaire celui ou celle – parce qu’il faut l’avouer le genre masculin n’a le monopole ni de la connerie, ni du rire – qui est je cite « sans intérêt, niais, ridicule »…

Trop sympa, le dictionnaire propose même des synonymes : blaireau, nul, tocard… On dirait du Audiard. Juste au cas où, en panne soudaine d’imagination, nous appellerions le capitaine Haddock à la rescousse pour trouver un quolibet ou une insulte à la mesure de notre courroux !

Tout cela nous semble bien loin des couloirs feutrés des entreprises et des éléments de langage qui y règnent parfois, ciselés par une communication aussi muselée que maîtrisée… Et pourtant, et pourtant, diable que ces bouffons et bouffonnes sont utiles ! Alors, vive les bouffons et les bouffonnes, c’est quoi l’histoire ?

D’abord « Bouffon » cela vient d’un mot italien qui veut dire « plaisanterie »… « buffa »

Et cette buffa-là n’est pas la buffala, celle dont on ne rit pas mais qu’on bouffe, au lait de bufflone et pas de bouffon, c’est-à-dire la femelle du buffle qui vient de bufalo, un autre mot italien.  Buffa n’est donc pas madame Bufalo mais bien une farce.

Le radical « buff » – avec deux f – désigne d’ailleurs le gonflement – avec un seul f – des joues. Une culotte bouffante… et bien ça vient de là aussi. Le gonflement à l’origine de la farce, en d’autres termes la caricature, l’exagération qui révèle les traits principaux.

Alors le terme semble peut-être injurieux pour certains mais il fait aussi référence à celui ou celle qui fait rire. Mais quand on ne rit pas, de soi surtout, alors celui qui révèle nos défauts devient cible de l’injure.

L’injure d’abord puis la condamnation du bouffon quand le roi ne rit plus, lorsqu’il croît que sa toute-puissance est écornée. Comme Triboulet le bouffon de François Ier, immortalisé par Victor Hugo et dont Guillaume Meurice romance l’histoire dans « Le roi n’avait pas ri »…

Le bouffon, c’est cet acteur qui amuse la galerie, à commencer par celle que les courtisans, cireurs de pompes et autres gens de cour arpentent dans l’attente d’une faveur, d’une marque de distinction de celui ou celle qu’ils enduisent de leur flatterie dégoulinante.

Ces gens de cours dont Erasme disait dans son « Eloge de la folie » qu’« il n’y a rien de plus rampant, de plus servile, de plus sot, de plus vil que la plupart d’entre eux, et ils n’en prétendent pas moins au premier rang partout »

Le bouffon avait en effet une fonction importante à la cour des puissants. Bien sûr, il distrait, il fait rire et il amuse. Mais en se moquant, avec une liberté qu’il est bien le seul à pouvoir s’autoriser, il ouvre l’esprit.

La voix et la voie de la dérision incarnée par celui qui, présentant les traits du fou naturel, aux clochettes qui tintent sur le ciboulot, est irresponsable et peut, par conséquent, être ce fou autoproclamé, sans entrave, qui tente d’éclairer de ses failles et fêlures ceux que le pouvoir isole et aveugle.

Parce que la dictature éclairée c’est certainement pas mal comme système mais le problème c’est que la lumière ne dure jamais très longtemps. La toute-puissance guette, à mesure que l’isolement se renforce et que les flatteries et conseils aux intérêts bien compris engluent la lucidité de celui ou celle qui dirige.

Alors il faut la farce, « l’impertinence pertinente », le trait d’humour décalé à la manière de la tape amicale sur l’épaule, celle du vieux pote qui te dit « hey, regarde ! ». Non pas celle qui te donne un « autre » monde à voir mais une autre manière de regarder le monde.

Le fou du roi précisément pour éviter au roi de devenir fou. Une paire de lunettes pour prendre conscience d’un réel dont on se coupe facilement quand on en est loin ou quand on en est tenu à l’écart.

Le rire qui témoigne d’un recul, d’une distance, donc d’une liberté et surtout par rapport à tout ce qui nous détermine ! Le rire comme résistance. Celui qui est un devoir de vérité pour reprendre les mots d’Umberto Eco : « Le devoir de qui aime les Hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire LA vérité »…

La farce du bouffon comme arme contre les soumissions et les asservissements. Le rire subversif. On y voit souvent la seule critique du puissant, et c’est vrai qu’on aime qu’il soit malmené, qu’il descende de son piédestal. Mais en revanche l’enjeu véritable est ailleurs. L’enjeu c’est la lumière, celle qui éclaire celui qui en est l’objet, celle qui introduit un doute salvateur parce qu’elle est le germe d’un questionnement, d’une prise de conscience, d’une réflexion plus ouverte, plus riche, plus complète.

Et on en a besoin plus que jamais. Parce que les transformations que les entreprises appellent de leurs vœux visent une capacité d’adaptation qu’il serait bien difficile de prétendre avoir en étant engoncé dans le culte de la maîtrise de tout et surtout de ce qui dérange le système établi !

On parle peut-être simplement ici d’un esprit critique, mû par l’envie de bien faire, et d’une forme de créativité, qui repose sur le pas de côté, et qui s’inscrit en droite ligne de la pensée latérale popularisée par Edward de Bono.

Cela mérite ici une petite précision. « Think out of the box » … l’expression consacrée. La pensée dont il s’agit ici conserve la boîte pour référence… Elle est en dehors de la boîte mais la boîte reste un repère cardinal. Une pensée anticonformiste dont l’intensité de la subversion est déterminée par sa distance à la boîte.

Le fou du roi, par son irrévérence, retire la boîte. Il offre donc une opportunité créative extraordinaire bien plus qu’il ne critique celui qui exerce le pouvoir. En critiquant la manière dont le pouvoir est exercé, les représentations sur laquelle il s’appuie, la vision du monde qui le structure, il ne désarçonne pas celui qui exerce le pouvoir.

C’est l’inverse en effet. Il le remet en selle. En ouvrant les yeux, le fou du roi sauve le roi. Et chacun est roi à son niveau. Chacun a besoin de son fou.

Guillaume Meurice nous dit  « qu’une farce est un cadeau en même temps qu’un espoir ». Mais pour l’un comme pour l’autre, il faut être deux. C’est souvent-là où le bât blesse d’ailleurs. Savoir accueillir cette impertinence, comme on accueille le doute comme une opportunité de progrès. Une qualité essentielle pour celui ou celle qui prétend diriger.

Ceux qui se moquent du bouffon en le pointant du doigt, plutôt que de chercher à comprendre les choses qu’il révèle et qui sont, peut-être salvatrices, et bien ils s’aveuglent et s’assèchent.

Et je crois qu’il y a bien plus de respect du bien commun de la part de ce fou-là que de la part de rond-de-cuir serviles, zélés à appliquer codes et normes d’un système dont ils profitent mais dont ils se foutent éperdument de la finalité et du devenir.

C’est alors qu’avec Nietzsche dans le Gai Savoir nous rions « de tous les maîtres qui ne se moquent pas d’eux-mêmes ».

En résumé, le bouffon a de nombreuses vertus pour celles et ceux qui exercent une responsabilité, même petite, parce que sa liberté permet d’ouvrir les yeux sur des vérités utiles à la condition d’accepter la critique dont elles peuvent être porteuses ! Exercer une responsabilité, même infime, demande d’être sérieux. Surtout pas de se prendre au sérieux.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire