L’enjeu culturel de la transformation et l’entreprise éclatée

Dans cet épisode nous allons nous intéresser à trois facteurs structurels ou conjoncturels susceptibles de complexifier significativement les transformations culturelles des entreprises.

Dans cet épisode nous allons nous intéresser à trois facteurs structurels ou conjoncturels susceptibles de complexifier significativement les transformations culturelles des entreprises.

Bon, on n’est pas assez agile, chef. Il faut se transformer. Trop de rigidités et de pesanteurs dans cette boîte. Comment veux-tu que nous relevions nos défis business des années à venir avec des managers ronds-de-cuir englués dans le reporting et des collaborateurs le petit doigt sur la couture du pantalon ?

« Quand les talons claquent l’esprit de vide » disait le Maréchal Lyautey ! Tu as raison cheffe ! Il faut changer de culture. Transformer nos “ways of working”. Allez « let’s go » on transforme la culture et hop, le tour est joué.

Et oui la belle intention, mais ce n’est pas si facile. D’abord la culture des femmes et des hommes relève d’un temps long, qui n’est peut-être pas le même que celui de ton ambition volontariste de cowboy.

Et peut-être aussi parce que certains facteurs structurels et conjoncturels liés à l’entreprise elle-même rendent l’exercice plus complexe encore. Alors l’enjeu culturel de la transformation et l’entreprise éclatée ? C’est quoi l’histoire ?

Les enjeux de transformation culturelle dont on parle ici renvoient me semble-t-il à deux exigences.

  • La première relève de l’identité, c’est-à-dire ce qui constitue le socle des représentations, des manières de voir et de faire d’un groupe. Or, c’est un processus de construction qui est lent et ce n’est certainement pas quelque chose de figé qui pourrait se décréter.
  • La seconde c’est que pour la faire évoluer on a besoin d’un minimum de compréhension commune et partagée d’une vision, une ambition, des valeurs et des projets pour la mener à bien. Ceci exige de la cohérence entre vision et opérations mais également pédagogie et incarnation permanente sur le terrain pour que chacun puisse se l’approprier.

En d’autres termes, il va falloir d’une part irriguer pour que ça pousse doucement et d’autre part porter et incarner le projet et sa traduction en permanence sur le terrain.

Or, ces deux exigences sont de toute évidence plus aisées à réunir dans un environnement stable et homogène. En cela, certaines caractéristiques liées à l’entreprise elle-même, pour des raisons structurelles ou conjoncturelles, peuvent rendre la tâche plus délicate.

On va en évoquer ici 3 :

  1. la croissance ou la décroissance en tant que telle
  2. les rachats et les fusions d’entreprises et
  3. la dimension internationale

Commençons par le 1er, la croissance ou la décroissance de l’entreprise. Surtout si elles sont rapides. Elles obligent l’entreprise à faire évoluer ses besoins organisationnels dans des délais courts.

Et ces évolutions sont potentiellement, et c’est malheureusement fréquent, dans une direction en décalage ou en dissonance avec ce qui fait sa culture originelle.

Les processus sont révisés aussi vite qu’on les pense, les normes et les prescriptions évoluent et les points de repère volent en éclat. Les piliers qui forgeaient la culture du corps social sont alors secoués en permanence. Ces secousses créent des interprétations et des compréhensions du projet, de son sens et de l’ambition souvent discordantes.

Et alors chacun voit midi à sa porte d’une part et midi à quatorze d’autre part. J’interprète ces secousses et je me fais des nœuds au cerveau. La grande horloge en est déréglée. Les représentations communes qui faisaient notre culture se diluent dans les tiraillements internes et les interprétations que les changements incessants de l’activité qui croît ou décroît.

Que dire surtout lorsqu’elle décroît au risque de faire peser le spectre d’un avenir inexistant… On a une culture forte, partagée et soudée mais on sait bien que la maison-mère n’investit plus sur notre activité et qu’elle est condamnée à décroître.

La deuxième dimension. Le cas de l’entreprise qui en rachète successivement d’autres ou bien celui d’une fusion. Cela pose à l’évidence une problématique particulière : comment favoriser l’émergence d’une culture commune, dont on sait que cela ne peut être que le fruit de ce que l’on est, tout en l’orientant dans une direction que l’on juge souhaitable ?

Lorsqu’il faut rapidement et régulièrement « intégrer » – avec tous les guillemets qui s’imposent autour de ce mot – des entités dont les projets respectifs et les cultures sont parfois très différents, l’exercice est une gageure.

D’autant plus qu’il n’est pas rare que ces entités qu’on intègre soient elles-mêmes très attachées à ce qui fait leur histoire commune et que cela se renforce à mesure qu’elles sont plongées dans un autre univers.

Ou l’inverse, quand l’acquéreur par exemple renforce les cloisonnements autour de sa culture, vécue comme « originelle » face aux « invasions » des entités rachetées qui viennent en choquer les étais. Combien de fois dans une entreprise as-tu entendu l’expression « canal historique » pour désigner la vraie culture, du moins comme le pensent ceux qui étaient là avant !

Enfin, l’entreprise internationale est aussi confrontée à des difficultés qui lui sont propres. L’éclatement de la structure est en effet amplifié de la dimension géographique et des différences culturelles dont elle peut être porteuse.

D’abord, la force du projet comme ciment de la coopération s’effrite par nature dans l’éclatement géographique local. Va faire vivre la flamme de ta grande ambition mondiale, surtout quand elle réside plus dans une devise que dans une réalité partagée, pensée du haut du 28ème étage d’une tour qui domine la planète

Jusqu’à l’opérateur dans une usine à l’autre bout du monde dont la réalité quotidienne est, comment dire, un peu différente ?…

Ou même tout simplement au patron ou à la patronne de ta filiale qui sent bien que ses marges de manœuvre se limitent à du reporting sur le headcount dans un fichier Excel et sont surtout proportionnelles au P&L qu’il ou elle remonte au headquarter.

Et puis, le sentiment d’appartenance qu’on pourrait espérer se heurte souvent à la réalité de pratiques communes qui ne sont pas homogènes d’un pays à l’autre. Or, lorsque les uns ont l’impression de ne pas être « traités » comme les autres, il est difficile de faire vivre ce sentiment, même en présence d’une vision claire, partagée et fédératrice.

Bref, on le voit, le chemin de la transformation culturelle est long et semé d’embûches. Mais  parfois il est aussi plus difficile quand les chaussures que l’on a ne sont pas les mieux adaptées à la route que l’on veut parcourir.

En résumé, une transformation culturelle est une démarche dont la difficulté ne provient pas uniquement du temps long qu’exige l’humain. Certaines caractéristiques liées à l’entreprise elle-même peuvent ainsi la renforcer. C’est par exemple le cas d’une croissance ou décroissance rapide, du rachat ou de fusions d’entreprises ou de la dimension internationale.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire tout une histoire.