Hybride : le buzzword 2021

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur les raisons pour lesquelles le mot hybride a envahi le vocabulaire managérial en 2021 depuis la crise de la Covid.

Dans cet épisode nous allons nous interroger sur les raisons pour lesquelles le mot hybride a envahi le vocabulaire managérial en 2021 depuis la crise de la Covid.

Et un nouveau mot, encore et encore et encore ! La transformation avait relégué le changement au rang de brutalité moyenâgeuse, puis on a vu que le digital c’était quand même bien plus cool qu’une informatique devenue ringarde, ou que les talents, cette expression au fond impersonnelle et tellement plus facile à manier que l’idée même de personne qui demande qu’on lui prête attention …

On a bien senti aussi que la crise avait mis un bon coup dans l’aile de l’agilité à force d’en trahir le sens et de la bureaucratiser … et que la résilience sonnerait quand même bien mieux aux oreilles que ladite agilité avait déjà lassées. Alors maintenant tout est « hybride ».

Et oui ! Et surtout le travail ! Il est devenu hybride. Le mot de l’année 2021 ! Mais ce mot hybride, qu’on connaissait depuis longtemps et qui était finalement peu sorti du domaine automobile, a irrigué de nombreux autres univers.

Et du coup – l’autre gimmick de langage vedette de 2021 qui ponctue les discours comme pour masquer l’absence même de logique entre les arguments – l’hybride est devenu à la mode ! Mais de quoi ce mot de l’année 2021 « hybride » est-il révélateur ? C’est quoi l’histoire ?

Commençons par le début : le dictionnaire ! Combien de fois devrai-je te le répéter ! Le sens des mots on le trouve d’abord dans le dictionnaire ! Alors hybride ça veut dire quoi ? Le Larousse nous propose trois choses qui semblent intéressantes à relever. La 1ère, je cite : « Se dit d’un animal issu du croisement entre des lignées sélectionnées et plus ou moins consanguines à l’intérieur d’une même espèce ».

Et la 2nde je cite « se dit d’une plante issue du croisement entre des parents nettement différents, appartenant à la même espèce ou à des espèces voisines » puis un peu plus loin, avec l’architecture comme repère, je cite toujours : « Qui est composé d’éléments disparates » …

On ne va pas jouer éternellement sur les mots, mais on voit bien se dessiner ici une question : le degré de pureté, avec tous les guillemets qui s’impose, entre les deux trucs disparates qui se mélangent pour faire cette fameuse hybridation.

Oui en d’autres termes, à quel point les deux objets qui s’hybrident sont-ils distincts l’un de l’autre. A l’origine, hybride ça vient du latin, ibrida le « bâtard, le sang mêlé ». Le mot trouve sa source dans la biologie végétale et animale comme le souligne les définitions du Larousse.

Et c’est là qu’il est intéressant de s’interroger sur le concept de métissage qui pourrait sembler proche. Après tout, le métissage c’est un peu la même chose, c’est deux trucs qui se mélangent pour en faire un troisième !

Utiliser ce terme pour désigner une troisième chose composée d’une partie des deux autres c’est implicitement considérer que les deux autres sont opposées, ou à tout le moins clairement distinctes. Sinon il n’y aurait pas besoin de troisième mot.

Et c’est là où se posent d’autres questions. Sont-elles vraiment si distinctes que cela ? En quoi le travail à distance est-il si différent du travail sur site ? Dans les deux cas c’est du travail non ? Donc si cela ne s’oppose pas, peut-être peut-on émettre une autre hypothèse.

Oui tout simplement l’idée d’exprimer que c’est « entre les deux ». Un terme moyen entre 2 termes que l’on considère comme opposé. Et c’est là où nous voulions en venir après avoir effleuré d’autres possibles.

La crise de la covid a été un puissant révélateur il me semble, notamment dans les media sociaux, de postures et d’avis tranchés à l’extrême. Tout le monde était pour ou contre de façon péremptoire sur plein de sujets. La chloroquine, le vaccin, etc. On vit une période où les avis sont de plus en plus extrémistes au détriment de l’argumentation. Un monde dont la nuance semblerait être absente.

Peut-être parce qu’un autre signe des temps c’est aussi ce que tu dis : affirmer son opinion plutôt qu’à démontrer. Et on devient alors expert de tout et surtout de ce qu’on ne connaît pas, on s’autorise à critiquer tout, on remet en cause la science et ses chercheurs parce que cela incarne une autorité qui me déplait ou tout simplement une contrainte que je refuse. Bref ! Moi moi moi parce que je le vaux bien !

Oui il faut ici réécouter les interventions d’Etienne Klein dont la sagesse devrait nous rappeler à l’ordre. Mais alors, en substance, l’emploi du mot hybride serait-il alors simplement l’expression soudaine du besoin de retrouver le sens de la nuance. Le besoin de trouver un mot pour qualifier ce qui est ni 0% ni 100%.

Et pourtant qui existait avant ! Peut-être y aurait-il aussi une image de sobriété, de propreté, de quelque chose du genre développement durable avec ce mot, et ça ne nuit pas à l’image tout ça hein.

Bref il n’est pas question ici de porter un jugement mais de s’interroger sur les raisons pour lesquelles un mot rencontre un public plus qu’il ne le faisait auparavant. Et c’est bien souvent parce qu’il désigne quelque chose qui pré-existe dans la tête de ceux qui l’emploient.

En résumé, la popularisation du mot hybride invite à s’interroger sur le besoin de qualifier une situation nuancée qu’on aurait peut-être perdue de vue à force de caricaturer la réalité à l’aide d’extrêmes qu’on oppose un peu vite.

J’ai bon cheffe ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire