RSE, bien commun et projet d’entreprise

Dans cet épisode, nous allons parler de projet d’entreprise et nous demander s’il est raisonnablement possible qu’il s’affranchisse de toute forme de responsabilité morale à l’égard de la société civile dans son ensemble.

Dans cet épisode, nous allons parler de projet d’entreprise et nous demander s’il est raisonnablement possible qu’il s’affranchisse de toute forme de responsabilité morale à l’égard de la société civile dans son ensemble.

Oh doucement là, le projet d’une entreprise ce n’est certainement pas de refaire le monde et encore moins d’aller jouer les grands sauveurs. On est là pour faire du business, donc du profit pour rémunérer l’actionnaire. Point barre.

Bien sûr qu’il faut rémunérer l’actionnaire, c’est même un objectif essentiel puisque c’est lui qui prend le risque de la destruction de valeur, il faut bien qu’il soit payé pour ce risque ! Ce n’est pas le salarié ou le client qui prend ce risque en effet. Mais de là à en faire une finalité ultime c’est autre chose.

Et toutes les entreprises ne sont pas des entreprises à mission hein ! Alors, une dimension RSE est-elle obligatoire dans un projet d’entreprise ? Peut-on ou pas s’affranchir de toute forme de dimension morale dans un projet d’entreprise, c’est quoi l’histoire ?

Tiens, commençons par une anecdote. En 2014, certaines sociétés pharmaceutiques Nord-Américaines avait été pointées du doigt pour avoir augmenté le prix de médicaments vitaux dans des proportions ahurissantes. Turing Pharmaceuticals par exemple avait augmenté un de ses produits de 5000%.

Et son président à l’époque avait été désigné comme « l’homme le plus détesté » des Etats-Unis… Un joli titre qu’on ne lui envie pas ! Pourtant, il avait une concurrence solide. Prends l’exemple du CEO de Valeant a qui l’on a reproché de sacrifier l’intérêt des patients pour satisfaire celui des actionnaires…

Beau parcours en effet. Elu CEO de l’année en 2015, limogé en 2016 puis arrêté pour fraude. Bon allez on arrête ça donne la nausée et il faut laisser ces exemples aux oubliettes de l’histoire de la petite médiocrité humaine.

Surtout que ça entretient une représentation aussi manichéenne que fausse d’une certaine forme d’entreprise, dont la raison d’être est pervertie par quelques tristes figures aussi peu soucieuses du bien commun que de l’intérêt général.

Oui et ça invite à se poser 2 questions.

  1. Une question évidemment d’ordre moral et c’est la perspective même de la RSE ;
  2. Et la question de l’équilibre entre les parties prenantes, indissociable de la précédente.

En fait considérer l’entreprise et son projet comme un « bien commun » ça contribue précisément à réaligner les intérêts de ces parties prenantes : la satisfaction des intérêts de l’un découle de la réussite du tout, et non l’inverse.

En d’autres termes, la partie a besoin du succès du tout comme le tout a besoin, pour son propre succès, de chaque partie. C’est au fond l’essence même de ce qu’est l’entreprise dont la finalité réside d’abord dans sa raison d’être.

Tout édifice social, et l’entreprise en est un qu’on le veuille ou non, a besoin d’un bien commun pour constituer société et cet édifice a aussi de fait une responsabilité face à l’avenir, le sien et celui de ce qui l’entoure.

Un responsable a donc une question et une seule à se poser au fond : est-ce que la décision que je prends est bonne pour ce bien commun ? Est-ce que c’est bon pour l’entreprise en tant que telle ? Et pas uniquement est-ce que c’est bon pour une seule des parties prenantes, au détriment des autres.

Tiens prends l’exemple de Danone dont certains ont dit que c’est parce qu’elle est devenue entreprise à mission que son patron Faber a sauté. Alors que cette logique était là bien avant, dans la grande tradition d’équilibre entre l’économique et le social d’Antoine Riboud.

D’ailleurs, son fils Franck en 2012, donc avant Faber, disait je cite « l’intérêt des actionnaires, celui des consommateurs, celui des pouvoirs publics, celui des salariés bien sûr, etc. Les critères à partir desquels j’arbitre doivent répondre à une seule question : l’intérêt de Danone à long terme est-il accompli ? »[5]

Il n’est pas question ici de juger si la raison d’être et la mission d’une entreprise sont biens ou pas mais de constater qu’une fois cela posé, cela devient de fait un bien commun entre les parties prenantes. C’est ce qui les réunit.

Et les responsables, parce qu’ils incarnent le tout, doivent alors démontrer au quotidien que leurs décisions sont « justes », c’est-à-dire qu’elles servent l’intérêt de ce Bien Commun-là.

Et pourtant il n’est malheureusement pas rare de voir des entreprises publiques ou privées dans lesquelles une collection d’indicateurs fait office de « projet » et dont les objectifs sont non seulement imposés par le poids déséquilibré des intérêts d’une seule des parties prenantes mais aussi parfois totalement déconnectés des contraintes du réel.

Pourtant, on le sait depuis longtemps, un indicateur ne fait pas sens. Il y avait ce slogan de 68 : « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance »…

C’est vrai que personne ne se satisfait des exigences dictées par une seule partie prenante, juste traduites en quelques objectifs chiffrés dont on pense qu’ils seront atteints à marche forcée.

Oui la réussite est toujours collective et elle suppose l’engagement de toutes et tous.

Alors dans cette perspective, on peut se demander s’il est raisonnablement possible de s’engager dans un projet d’entreprise dénué de toute forme de responsabilité morale à l’égard de la société civile dans son ensemble dans la mesure où, en toute hypothèse, c’est l’une des parties prenantes.

Au fond, la réponse est évidemment non. L’entreprise n’est pas étanche, elle ne vit pas en vase clos. Mais certains essayent toujours d’y échapper. C’est ainsi.

En résumé, le projet d’une entreprise, sa raison d’être et son ambition, constituent un bien commun pour toutes ses parties prenantes. La société dans son ensemble en est une et il semble donc difficile de s’affranchir de toute forme de responsabilité à son égard, au moins sur un plan moral.

J’ai bon chef ?

Oui tu as bon mais on ne va pas en faire toute une histoire

[5] La Tribune du 29 mai 2012 « Un entretien avec Franck Riboud, PdG de Danone »